Partie 1 Partie 2
Parmi ceux qui, remontant le cours de la Molignée depuis son confluent avec la Meuse, passent à proximité du château de Moulins, combien savent qu'à cet endroit s'est déroulée une expérience monastique dont la durée a couvert plus de cinq siècles, dont le rayonnement fut grand et l'influence étendue. L'abbaye de Moulins s'est développée en ce lieu à partir de la troisième décennie du Xlle siècle en vivant selon les préceptes de la règle de Cîteaux. Pour en comprendre la signification et la portée, il convient de savoir quelle fut l'origine de cet ordre et quels sont les principes qui l'ont régi.  1. L'ordre cistercien Il est né à la fin du XIe siècle d'une quête rigoureuse de la perfection dans la vie religieuse, de la recherche de l'absolu et de la volonté d'un retour à la stricte observance de la règle de Saint Benoît. Un moine bénédictin du nom de Robert, était abbé de Saint Michel de Tonnerre, quand, poussé par un désir de perfection monastique, il vint, en 1075, s'établir dans la forêt de Molesme avec des compagnons épris comme lui de la vie érémitique. Ils fondèrent un monastère placé sous la protection de la Vierge Marie. Bientôt des disciples affluèrent, parmi eux, un anglais appelé Étienne Harding, dont l'influence sera considérable pour l'avenir du monachisme. Cependant, Molesme n'échappa pas longtemps à la pression du siècle, ce qui incita Robert à quitter ce lieu pour aller plus avant dans la solitude fonder, en 1098, un monastère en un endroit retiré distant de 30 kilomètres de Beaune (Côte d'Or). Ce sera le monastère de Cîteaux appelé Novum Monasterium parce qu'un effort plus grand y sera consenti pour se rapprocher de la pureté originelle de la règle bénédictine, d'une règle dégagée de toutes les inflexions que les siècles lui avaient apportées. Pauvreté, pénitence, solitude forment les bases du Nouveau Monastère. Le moine anglais Étienne Harding devenu le troisième abbé de Cîteaux, élabore un texte soumis à son chapitre, texte qui va devenir le fondement du nouvel ordre monastique de Cîteaux : la charte de Charité. Son but est de trouver un cadre de vie à la communauté en imposant l'uniformité dans la pratique de la règle de Saint Benoît, dans la composition des livres liturgiques et enfin dans les occupations de la vie quotidienne. La charte définit aussi les conditions dans lesquelles les monastères seront bâtis c'est-à-dire loin des lieux habités. hors des places fortifiées et des grands domaines. Il faut se retirer dans des lieux isolés où la pratique de la vie monastique sera plus aisée parce que moins soumise à l'influence du monde. Pour que la règle soit fermement maintenue, il faut un triple contrôle : exercé d'abord par l'abbaye-mère, en l'occurrence Cîteaux, sur les abbayes-filles qu'elle a fondées et cela au moyen de visites canoniques au moins annuelles. Il faut ensuite que les premières fondations de Cîteaux, à savoir : La Ferté. Pontigny, Clairvaux et Morimond exercent le même contrôle sur les abbayes fondées par chacune d'elles. Il faut enfin un contrôle sur tous les pères-abbés des abbayes en les réunissant annuellement à Cîteaux, au sein d'un chapitre général. Ces contrôles aboutissent à concevoir l'ordre cistercien comme une pyramide dont Cîteaux occupe le sommet, l'étage inférieur étant celui des premières abbayes- filles d'où partent des lignes où se retrouvent les abbayes fondées au fur et à mesure de l'expansion. De la sorte, le chapitre général possède à la fois un pouvoir législatif qui fixe la règle et un pouvoir judiciaire ou coercitif qui maintient l'uniformité de la doctrine. Ces pouvoirs s'exercent via les abbayes d'une même ligne, de l'abbaye-mère à l'abbaye-fille et ainsi de suite suivant la succession des fondations. On a pu comparer les premières abbayes cisterciennes à des ruches trop pleines dont se détachent des essaims d'abeilles qui partent fonder de nouvelles colonies. Le développement de l'ordre cistercien a été extraordinaire : de 1093 à 1115, on assiste à la fondation des quatre abbayes qui viennent d'être citées. En 1119, on en compte déjà douze, en 1144, au décès d'Étienne Harding, il y en a septante-trois. À la mort de Saint Bernard en 1153, trois cent nonante-trois. Le nombre va croître pour atteindre sa plus grande amplitude avec 742 abbayes dispersées sur une surface géographique allant de l'Irlande au Moyen-Orient. Parmi les abbayes cisterciennes de la première génération, il en est une qui surpasse les autres par son rayonnement : Clairvaux dont le nom est inséparable de celui de Saint Bernard. Jeune gentilhomme bourguignon, il est entré à Cîteaux en 1113 avec une trentaine de compagnons. Son zèle le pousse à aller fonder le monastère de Clairvaux dont il sera le premier abbé en 1115. Sa personnalité éminente, son ascendant, la rigueur de sa doctrine font de lui le second père des cisterciens et l'une des principales personnalités de l'occident chrétien. La grande expansion de l'ordre cistercien impose à la longue une décentralisation. Les visites canoniques des pères-abbés ne se faisant plus régulièrement, le chapitre général désigna au début du XVe siècle, des vicariats généraux ayant autorité sur leur province. Ii y en aura un pour l'évêché de Liège qui nous intéresse particulièrement. Pour ce qui est du territoire actuel de la Belgique, l'expansion cistercienne se fait à partir de 1132. Des moines venus de Trois-Fontaines, abbaye-fille de Clairvaux, reprennent l'abbaye d'Orval qui leur est offerte par l'évêque de Verdun. En 1146, à l'occasion du passage de Saint Bernard, l'abbaye de Villers-en-Brabant (Villers-la- Ville) se rattache à Clairvaux. L'évêque de Liège fait don à Saint Bernard de l'abbaye d'Aulne. Celui-ci fonde en 1148, l'abbaye de Cambron (Cambron-Casteau). Nous le verrons dans le cours du récit, Villers, Aulne et Cambron auront une influence directe sur Moulins. (1)
2. L'abbaye de Moulins des origines à I414 L'histoire ecclésiastique du Comté de Namur (2) fait remonter la fondation de Moulins à 1231. Henri III, comte de Vianden et de Namur, son épouse Marguerite de Courtenay favorisèrent, avec l'aide d'autres personnes pieuses, la fondation, dans leur comté, de monastères de religieuses Bernardines. Ce furent Argenton (1229). Boneffe (1230), Moulins (1231), Soleilmont (1237). Ces fondations ne sont sans doute pas étrangères au mouvement spirituel des saintes femmes qui s'est développé principalement dans le diocèse de Liège pendant les premières décennies du XIII' siècle. On y voit se former des groupes de jeunes filles et de veuves issues de la bourgeoisie, se proposant de vivre comme le faisaient les communautés chrétiennes primitives, en pratiquant une spiritualité approfondie et rénovée. Ce mouvement est appuyé avec sympathie par la puissante abbaye de Villers, ce qui amène les communautés des saintes femmes à demander un rattachement à l'ordre de Cîteaux. Souvent aussi le pouvoir temporel désireux de voir des monastères, pôles de développement, s'implanter sur ses terres, les aide matériellement et intervient pour que les communautés soient reconnues par un ordre religieux structuré, comme l'est l'ordre de Cîteaux. Celui-ci ne voit pas sans réticence le mouvement féminin se porter vers lui. Avant de reconnaître de nouvelles communautés, il édicte des conditions à respecter : il faudra qu'elles occupent des lieux réguliers où pouvoir vivre dignement en ayant cuisine, réfectoire, dortoir. Il faudra que les lieux soient compris dans une stricte clôture, que les communautés disposent de ressources suffisantes leur permettant de subsister par elles-mêmes. Enfin, elles devront accepter le contrôle du père-abbé immédiat désigné par le chapitre général. Pour Moulins, ce sera l'abbé d'Aulne. Le premier texte qui officialise la fondation de Moulins, est de juillet 1233, il figure dans le cartulaire sous le titre : « CONSENSUS DOMINI LEODIENSIS DE FUNDATIONE MONASTERII BEATAE MARIAE DE MOLINIS ». Assentiment du Seigneur (Évêque) de Liège à la fondation du monastère de Notre-Dame à Moulins. (3) De ce document rédigé en latin, nous relèverons le passage essentiel « CONCESSIMUS FIERI COENOBIUM MONALIUM CISTERCIENCIS ORDINIS IN LOCO QUI DICITUR ALLODIUNI BEATAE MARIAE DIOCECIS NOSTRAE ». « Nous avons marqué notre accord sur la fondation d'un couvent de moniales de l'ordre des cisterciens à l'endroit dit Alleu Notre-Darne, dans notre diocèse. Nous plaçons ce couvent, avec toutes les personnes qui s'y trouvent au service de Dieu, sous notre protection ... Nous lui confirmons de notre autorité, la possession de leurs biens présents et de ceux qui seront acquis justement par ailleurs ». Ce texte parle d'un alleu, en d'autres termes d'une terre franche, qui constitue la première dotation des moniales. Cette dotation initiale va se développer au fil du temps, mais de façon assez modeste tant qu'il s'agira des religieuses. Dans l'ancien comté de Namur, l'accroissement patrimonial d'une institution religieuse résulte d'abord des dons faits par l'autorité comtale qui détache quelques biens de son domaine primitif, qu'il s'agisse de terres, de bois ou d'avantages matériels tels que des autorisations de pêche. Une autre source d'accroissements consiste dans les dons faits par des particuliers qui lèguent. dans une intention pieuse, quelques parties de leur patrimoine. Ces dons sont généralement de taille modeste mais vu leur nombre, ils constituent à la longue une part non négligeable du patrimoine monastique. C'est ensuite le savoir-faire de la gestion patrimoniale qui permettra le développement, soit par le défrichement de terres incultes pour les mettre en culture, soit par le remembrement de terres éparses, soit en prenant des domaines « à cens », c'est-à-dire en les exploitant contre un paiement annuel au propriétaire, soit encore, et ce sera plus souvent le cas, en donnant en location les biens du monastère, qu'il s'agisse de terres, de prés, de maisons, de jardins, en un mot en les mettant en arrentement. Les moniales cisterciennes de Moulins ne développeront guère cette politique d'accroissement. Au moyen des analectes et des inscriptions au cartulaire de l'abbaye, suivons l'évolution du patrimoine de Moulins dans les premiers temps de son existence. La première acquisition importante date de 1238. Dans la forêt de Marlagne. entre Namur et Bois-de-Villers, existait l'ermitage Notre-Dame de Marlagne. En 1225, Philippe de Courtenay, comte de Namur, y fondait une chapellenie en lui accordant un revenu de dix muids de mouture à prendre sur son moulin de Floreffe, aussi longtemps que le prêtre, affecté à l'ermitage, y célébrerait le divin Mystère. Le 12 avril 1238, Jean d'Aps, évêque de Liège, confirme la donation de la chapelle de Marlagne à l'abbaye de Moulins. « VOBIS LIBERE ET PIE CONCEDIMUS DONATIONEM CAPELLANIAE DE MARLANGIA, CUM OMNIBUS APPENDITIIS ET PERTINENTIIS QUAM VOBIS FECIT BALDUINUS » « Nous vous avons concédé librement et pieusement la donation de la chapelle de Marlagne. avec toutes ses dépendances et extensions, créée pour vous par Baudouin, illustre héritier de l'Empire romain et comte de Namur ». (4) Cette donation apportait à l'abbaye, en plus de la rente de dix muids de mouture, un ensemble de biens fonciers estimés à sept hectares. Baudouin II de Courtenay. appelé aussi Baudouin de Constantinople, menait une politique orientale ayant pour but l'Empire romain d'Orient. Pour soutenir cette politique, il fut contraint de recourir à l'emprunt et dut aliéner des biens de son comté de Namur. comme par exemple des forêts. Revenons-en au texte latin des analectes qui concerne la forêt de Rouveroit. « À tous. tant présents que futurs. nous faisons savoir que nous avons. pour une partie. vendu pour 200 livres parisis à l'abbesse et à la congrégation de l'église de l'Alleu Notre-Dame de l'ordre cistercien. qu'on appelle habituellement Molins. la forêt nommée Rouveroit. (SILVAM) SITAM INTER VILLAM DE MOLINS VILLAM DE ANHEE. ECCLESIAM BEATI MARTINI DE SENINES, VILLAM DE GRANGUHE ET VILLAM DE OHAIN ». « Forêt de Rouveroit située entre la localité de Moulins et la localité d'Anhée. l'église Saint Martin de Senenne, la localité de Grange et celle d'Ohain. À propos de ce dernier lieu,il ne peut s'agir que d'Ohet. Pour ceux qui habitent cette région, la localisation de la forêt de Rouveroit est claire, il s'agit du grand bois de Moulins. En 1787, lors de la suppression de l'abbaye, cette forêt était toujours dans son patrimoine, elle s'étendait à l'époque sur 144 bonniers ou 137 hectares. Le texte de l'analecte poursuit ainsi : « Pour une autre partie aussi, nous avons fait une donation charitable à ladite église pour le remède de notre âme et de celles de tous nos prédécesseurs ... Par ailleurs. notre volonté est que ni notre vente ni notre concession ou fondation ne puissent être modifiées ou contestées par un de nos successeurs qu'il soit héritier de notre sang ou quelqu'un d'autre qui nous succéderait au comté de Namur ». (5) Baudouin de Courtenay poursuit en spécifiant que les baillis, intendants , forestiers, soldats, bourgeois ne puissent s'entremettre au sujet de la forêt de Rouveroit sans un mandat et l'accord de l'abbesse elle-même et de la congrégation. Dans l'avenir, si un litige surgissait à propos de ladite forêt, seul  le comte de Namur serait compétent pour en traiter. Après avoir cité les témoins, l'acte se termine par « Fait à Bouvignes. dans l'église Saint Lambert, l'an du Seigneur 1238. au mois de mars, le samedi avant les rameaux ». Le monastère de Moulins bénéficiera encore d'une largesse de Baudouin de Courtenay : un droit de pêche en Meuse, approuvé par un acte du 16 juin 1247, rédigé en vieux français. « Nous avons donné en pure aumôme, à perpétuité, à l'abbesse et au couvent de l'Alleu Notre-Dame de Moulins, cinquante anguilles que nous avons à notre venne à la Meuse ». (6) Un acte du 21 juillet 1240 du Souverain Pontife atteste la validité des possessions de l'abbaye. (7) Ce texte très long, confirme au monastère, ses biens présents et futurs, obtenus d'une concession des papes, des largesses des rois et des princes, des dons des fidèles et d'autres manières honnêtes, afin qu'ils soient intangibles dans le présent et pour l'avenir. L'intérêt de cet acte est qu'il récapitule les biens possédés en 1240. Ce sont : le lieu lui-même où se situe le monastère avec toutes ses dépendances, donation du comte Baudouin de Namur. a forêt dite Roveroy. les possessions en Marlagne avec leurs dépendances. sur la Meuse, jouxtant Moulins, la pêcherie dite Venne, avec ses prés, vignes, terres, bois, etc... Ceci appelle une remarque. L'acte de donation de la venne en Meuse est de 1247, or déjà en 1240, le Souverain Pontife en confirme la possession. Le bien était donc donné depuis sept ans quand l'acte d'investiture a été établi. Les analectes ne signalent pas d'autres acquisitions alors que le monastère était sous la direction de Béatrice, première abbesse. Le répertoire des papiers de l'abbaye (8) fait état d'une lettre de 1266 du Prince-évêque de Liège accordant à Gilles de Bois de pouvoir transporter à l'abbaye son héritage (patrimoine) situé à Salet et consistant en une ferme, cens, chapons, avoines, etc. moyennant un cens de six deniers liégeois solvables à perpétuité. À Salet encore, on note, en 1316, la donation de neuf bonniers de terre, faite en aumône par Jean Stevenis, à Madame l'abbesse et à l'église de Moulins. (9) À côté de ces acquisitions, il y en eut d'autres venant de dons faits en aumône par des particuliers. En 1278, Marie Bernarde, béguine de Saint Symphorien, lègue, par testament, deux muids d'épeautre à prélever à Wodon : un muid va à « dame Agnès, ma soeur, none de Moulins, pour faire ses volontés et pitanches toute sa vie ». Après elle, le legs reviendra à la communauté de l'abbaye. En 1297, un autre legs de quatre muids de froment est fait à Jandraing. Huit muids d'épeautre sur des terres à Isnes, sont signalés en 1310. (10) et (11) Le Monasticon de Berlière cite quelques abbesses dont les noms apparaissent dans des actes : Béatrice, Agnès, Julienne, Isabeau, Agnès de Huy et enfin la dernière, Clémence qui allait être au centre de la tourmente qui s'abattit sur Moulins. Une de ces abbesses vendit pour 35 livres, au comte de Namur, en 1324 le moulin de la Fontaine à Bouvignes. Ce moulin banal existait toujours au XVIII' siècle et fonctionnait avec la source le Molinéal. En 1787 il fut vendu à Antoine Fr. Amand qui bâtit à cet endroit un fourneau à fondre le fer. En 1413, Guillaume II, comte de Namur, s'étant alarmé du relâchement des moeurs dans les abbayes de moniales de son comté et de la ruine qui les menaçait, en réfère au chapitre général de l'ordre. Cîteaux désigne alors les abbés de Clairvaux, de Villers et d'Aulne pour enquêter au sujet des dérèglements commis dans les abbayes d'Argenton, du Jardinet à Walcourt, de Soleilmont et de Moulins. Le résultat est consigné dans les analectes. (12) Il s'agit d'un texte rédigé en latin qui comporte cinq pages. Nous nous bornerons donc à en faire un résumé. 18 avril 1414. Le comte de Namur compâtit à la désolation où se trouvent les monastères de moniales de l'ordre cistercien, situés dans son comté, qui sont déjà l'objet ou sont menacés de l'être prochainement, d'une ruine complète autant spirituelle que temporelle. L'inspection des lieux a été concluante : les quatre monastères sont dans un état irréparable : une partie des édifices pourrit en terre, une autre a le ciel pour toit, le vent souffle entre les fissures, des parties sont prêtes à s'écrouler. On ne trouve plus là-bas, ne fût-ce qu'un vestige du respect des règles monastiques : c'est la chute dans les jouissances charnelles (CARNALIBUS ADEO PESSUM DANTUR ILLECEBRIS ...). C'est un scandale pour les gens, les voisins sont tous au courant, la réputation de l'ordre est souillée et cette situation est haïssable. Suite à cela, voici comment les abbés cisterciens rapportent avoir procédé. Le 24 mars, après une messe au Saint-Esprit, nous avons publiquement dégagé l'abbesse, Soeur Clémence, de sa charge. Nous avons aussi dégagé les religieuses de tout lien les attachant à Soeur Clémence ou au monastère. Immédiatement après, nous leur avons assigné d'autres monastères de notre ordre où elles comprendront convenablement les nécessités de la vie, rendront à leurs supérieures des voeux de leur profession de foi et serviront Dieu dans la sainteté en respectant les règles, en dépouillant le vieil homme et en se rénovant par l'esprit d'une vie plus correcte. Afin que la charge soit moins lourde pour les monastères d'accueil, l'abbesse Clémence recevra annuellement du monastère de Moulins, une pension à vie de six muids d'épeautre. Les autres moniales recevront quatre muids, ceci à condition qu'elles ne se souillent plus de quelque incapacité à restreindre leurs passions, auquel cas, sur preuve de turpitude, la faveur de leur pension leur sera retirée. Ceci fait, les abbés prescrivent qu'un couvent et une congrégation de moines succèdent définitivement à Moulins, au monastère des moniales. Les moines seront du même ordre et sous l'autorité du Père-abbé de Cîteaux. Le premier abbé proposé pour Moulins est Jean de Gesves, moine d'Aulne, qui accepte et est aussitôt nommé en présence de toute l'assemblée. Après le chant du Te Deum en action de grâce, Jean de Gesves est installé dans la possession du monastère. Avec cette cérémonie prend fin la période de 180 ans pendant laquelle des moniales ont vécu dans le monastère de Moulins. Le 10 juin 1414, le Comte de Namur porte officiellement à la connaissance des baillis, prévôts, mayeurs, officiers et sergents, la substitution des moines aux moniales « pour la cause du maulvaise, indiscret et disollut gouvernement de l'abbesse et couvent du lieu » et il leur enjoint d'aider l'abbé Jean de Gesves à « avoir, prendre, lever et recevoir tous cens, rentes, revenus » appartenant à l'abbaye et de forcer les débiteurs à s'exécuter. (13) Le 16 novembre 1414, Jean de Bavière, évêque de Liège, ratifie la substitution eu égard aux nombreux dommages subis tant au spirituel qu'au temporel. Il ajoute que la réforme rendue nécessaire ne concerne qu'un petit nombre de moniales. Quatre ans plus tard, le Souverain Pontife Martin V ratifie à son tour la réforme de l'abbaye de Moulins. En 1420, intervient une ordonnance inattendue émanant du Comte de Namur, Jean III, adressée à tous ses officiers et spécialement au bailli de Bouvignes. Étant donné, dit-il en substance, que c'est tous les jours que les religieux du monastère de Moulins sont « travilliés (tourmentés), injuriés, vexés et molestés » par des dames qui anciennement étaient des religieuses de ce monastère, il vous est demandé d'y pourvoir, étant donné que nous somme tenus de les protéger de toute force de violence, tourments, injures, vexations et molestes. Nous vous commandons avec insistance de prêter auxdits religieux, conseil, sécurité et aide, les protégeant desdits tourments, injures, vexations, ennuis et en général de toute force et violence qui pourraient leur être faites par lesdites dames ou à leur demande. Vous le ferez chaque fois que les religieux vous en requerront et la cas échéant sans avoir à attendre un autre ordre de notre part. (14) Ce texte laisse perplexe car on voit mal comment les moniales dispersées par petits groupes pourraient venir inquiéter des moines, sinon en commanditant des hommes de main pour faire régner l'insécurité autour du monastère de Moulins. Six cents ans après les faits, il est difficile d'en juger le bien-fondé. La période de présence des moines à Moulins commence donc en 1414, elle se prolongera jusqu'en 1787. Jean de Gesves, premier abbé, est profès d'Aulne en 1397 et a été trécensier pour son abbaye au refuge de Huy. Il s'est trouvé en relation avec l'abbaye de Robertmont où réside une religieuse, Marie de Berwier qui a été l'initiatrice de la réforme des moniales. Constatant que la vie monastique ne correspond plus à l'idéal cistercien de pauvreté, elle est venue à Marche-les-Dames vers 1406 avec un petit groupe de jeunes moniales, pour y réaliser un projet de renouveau grâce à l'appui du confesseur de la communauté, Jean de Gesves. Le nouveau programme de vie est de retrouver l'esprit primitif de l'ordre par le renoncement à la propriété privée, le rétablissement d'une vie monastique communautaire, le retour à la stricte clôture. La réforme réussie à Marche-les-Dames se transmet ensuite à Soleilmont qui entre, à son tour, dans la même voie. Jean de Gesves qui a soutenu la réforme des moniales, l'appliquera à Moulins lorsqu'il en sera devenu l'abbé. Moulins deviendra donc chef de file et propagateur d'un renouveau monastique qui persistera après le décès de Jean de Gesves en 1424. Moulins réformé en 1414 est directement rattaché à Cîteaux. Son influence réformatrice s'exercera sur trois autres abbayes qui resteront dans sa ligne = le Jardinet (Walcourt), Nizelles (Wauthier-Braine) en 1441 et Boneffe en 1461. Les moniales du Jardinet ne s'étant pas réformées, se voient dispersées et remplacées par des moines dont le premier abbé, Jean Eustache, est profès de Moulins en 1428. Il deviendra aussi le premier abbé de Nizelles où se répète le processus. Enfin lorsque Boneffe se réforme à son tour en 1461, c'est Pierre Meunier profès du Jardinet qui en devient l'abbé. L'action de Moulins se marquera aussi en 1467 dans le règlement d'un conflit entre les abbayes de Saint Rémy (Rochefort) et de Félipré près de Givet dont les communautés avaient été permutées. Les abbés de Moulins et du Jardinet se voient confier une mission de conciliation. Ils installent à Saint Rémy un profès du Jardinet avec mission d'y appliquer les principes de la réforme. Dans tous ces événements, l'influence de Moulins est manifeste, ce monastère est bien le chef de file d'une ligne réformée. (15)
3. L’accroissement du patrimoine de l’abbaye Lorsque les moines vinrent remplacer les moniales dans le monastère de Moulins, la possession de ses biens leur fut confirmée. A cette époque, le patrimoine était loin d’atteindre l’ampleur qu’il connaîtra 350 ans plus tard. Le recensement de 1289 n’attribue que 52 bonniers à l’abbaye. (16) Ce sera l’œuvre des moines d’accroître le patrimoine en le faisant fructifier malgré les périodes difficiles du temps des guerres et des troubles, pendant lesquels les ravages et les destructions ne leur seront pas épargnés. Comment firent-ils pour accroître leur patrimoine et leurs revenus ? Au XVe siècle, on constate qu’ils bénéficièrent de dons faits dans une intention pieuse. C’est ainsi qu’en 1418, le Comte de Namur les mit en possession de terres proches de l’abbaye qui constituèrent le fief de Moulins. En 1433, ils acquirent aussi en aumône, le fief de Pont qui 250 ans plus tard, sera le siège de la papeterie. Dans un autre chapitre, nous étudierons plus en détail ces deux dotations importantes. Mais à côté d’elles, il y en eut un grand nombre d’autres portant sur des maisons, des prés, des jardins, des rentes en grains qui contribuèrent dans leur ensemble à constituer un patrimoine de grande taille. Ces dons faits par pur esprit de charité, furent nombreux au point qu’il serait fastidieux de les énumérer. Retenons quelques exemples : En 1419, le monastère reçoit une rente d’un muid d’épeautre affecté sur une maison d’Anhée. 1461 : donation faite en aumône par Gérard Domual, d’une maison ayant appartenu à Lambert d’Anhée. 1471 : Jean Le Cornu, prêtre, donne en aumône 6 muids d’épeautre de rente hypothéqués sur une maison à Sorinne et 3 muids affectés sur une maison à Spontin. (17) De ces dons, il faut rapprocher ceux qui furent faits par testament. En 1458, Jean Rossingnon, prêtre et chapelain, transporte au profit de Moulins, 2 maisons et 3 petits cortils situés à Fosses. 1462 : Henry Richier et Catherine Benoit son épouse fondent une messe perpétuelle à célébrer chaque année dans l’église de Moulins, pour laquelle ils lèguent la moitié d’une maison à Bouvignes. 1468 : Dame Onde transporte par aumône à l’église de Moulins tout droit et action qu’elle avait à certaine vigne appelée Mafley gisant à Bulley. 1514 : Jean Défais de Hour (Houx) laisse tous ses biens au monastère. 1652 : Testament de Guillaume Libotte laissant 2 muids d’épeautre que lui doit le seigneur Danvoye (sans doute d’Annevoye). 1654 : Testament d’Antoine Harmant laissant 1.000 florins à l’abbaye. 1678 : Testament de Marie Plousart faisant des religieux de Moulins ses légataires universels à charge de célébrer un obit. (18) 1681 : Nicolas Cuvelier fait donation d’un capital de 10.708 florins pour acheter une rente destinée à la fondation d’une messe à perpétuité. (19) Une autre source d’accroissement consiste dans les dots que les religieux apportaient à leur entrée au monastère pour accomplir leur vocation religieuse. Nous connaissons deux exemples de biens-fonds acquis par ce moyen. En 1510, Jean Parent entré comme novice à Moulins, fait sa profession religieuse. A cette occasion, il lègue la ferme de Solonne située à Pumode, le testament ne prenant effet que le jour où son père ne sera plus. Ce dernier étant décédé en 1516, la ferme devient propriété de l’abbaye qui la donne en accense héritable, c’est-à- dire en location passant de père en fils, moyennant un paiement de 50 muids d’épeautre par an. (20) Un autre exemple est celui de Maximilien Damanet, natif d’Anhée et novice à Moulins. Lorsqu’il devient profès, il rédige un testament en faveur de l’abbaye. On y lit : « or comme ils n’at à présent argent à la main pour fournir aux habits et autres choses requises et nécessaires à sa profession, prémices, études, etc., il laisse de légate au profit dudit monastère, la grande maison et jardin lui appartenant au village d’Anhée avec aussi six florins six sols de rente affectés sur hypothèque audit Anhée et ce à condition d’acquitter annuellement par ledit monastère, les rentes sus affectées ». (21) Nous reviendrons sur la vie de ce religieux qui sera abbé de Moulins et exercera une action remarquable dans la direction de l’abbaye. Enfin, dans le même ordre d’idée, signalons que Moulins obtint quelques biens en recueillant des hommes seuls et âgés qui venaient séjourner à l’abbaye en tant que « familiers », y recevant le gîte et le couvert, moyennant quelques prestations à fournir : service de portier, de surveillant, mais aussi faisant un testament par lequel ils léguaient leurs biens au monastère. Il va de soi que ces héritages étaient modestes. Le mode d’accroissement du patrimoine le plus efficace a consisté dans les achats et échanges de biens. Prenons-en quelques exemples. Le cartulaire de Moulins nous apprend qu’en 1448, « Ledit Jehan de Wilre avait rendu et donné en bonne léalle (loyale) accense héritable à ladite église et monastère de Molins ... acceptans une maison, tenure (propriété) et pourprise (enclos) séante en la ville d’Anhée autour de la chapelle d’Anhée avecques tous les héritages, prés, terres et bois à icelle maison, tenure et pourprise appendans et appartenans si aval qu’ils sont mouvans en alloux de Mons. Le Comte, moyennant che que icelle église de Molins en doit rendre et paier cascun an héritablement à prédit très redoubté seigneur ou à ses successeurs, comtes de Namur, au jour Saint Adrieu, 4 muys de spelte (épeautre) et 8 muys et 2 stiers d’avoine de rente héritable que ladite maison, tenure, pourprise et héritages dessusdits lui doivent pavai ladite accense ». (22) Plus simplement, il s’agit ici de la prise en charge par Moulins d’un bien situé près de la chapelle d’Anhée, moyennant paiement d’une rente perpétuelle due au comte de Namur. Nous reparlerons de ce bien et de cette chapelle qui se situait à l’époque au carrefour de l’actuelle rue des fusillés et de la rue Sainte Barbe. En 1448, le monastère achète au duc de Bourgogne, également comte de Namur, un moulin à farine et un moulin à huile pour le prix d’une rente de 14 muids de mouture. En même temps, il achète le pré gisant devant le moulin pour le prix de 8 mailles. Ces biens se trouvent à la Roche à Moulins, nous y reviendrons puisque ce petit terrain devait connaître un avenir industriel remarquable en étant le siège des forges. (23) En 1503, le monastère acquiert des mains de Guillaume Closquier «6 à 7 bonniers de terre gisant à Heneumont et un demi-bonnier gisant à la Cousture en prée » (Wamant). (24) Henico de Gerny transporte, en 1523, à l’abbaye son charruage et sa bouverie gisant à Salet. En fin, en 1757, Moulins acquiert la ferme d’Ohet. (24) Après avoir passé en revue les modes d’acquisition des biens de l’abbaye, il convient d’inventorier le patrimoine en indiquant chaque fois que c’est possible, l’origine du bien et son évolution. Il est à remarquer que pour les acquisitions remontant au XVe siècle, l’origine est parfois peu précise, le cartulaire se bornant souvent à ne donner que de brèves indications. Les fermes constituaient les fleurons du patrimoine et les plus sûrs revenus de l’abbaye. La ferme de Salet Son origine remonte loin dans le temps, alors que l’abbaye était occupée par les moniales. Les acquisitions se sont faites par étapes comme indiqué ci-avant. 1266 : Les moniales acquièrent en arrentement les biens de Gilles de Bois (ferme, terres, cens, etc...). 1316 : Acquisition de 9 bonniers de terre donnés en aumône par Jean Stevenis. 1523 : Genico de Gemy vend à l’abbaye son charruage et sa bouverie. À une date non précisée, le preitz au preya est légué par le père du moine Luthei (« QUI NOBIS LEGAVIT PRATUM IN SALETO SITUM »). (25) Ces acquisitions successives et d’autres résultant d’échanges, ont contribué à doter l’abbaye d’une cense importante à Salet couvrant, à la fin du XVIIIe siècle 113 bonniers de terres labourables, 40 de trieux, 8 de prairies et 3 de jardins. Dans les bâtiments de la ferme, un petit quartier était réservé à l’abbé, quartier appelé campagne de l’abbé qui y prenait des journées de détente. Ce quartier est encore visible aujourd’hui : il est bâti en briques avec de beaux encadrements de pierre de taille aux fenêtres, alors que le restant de la ferme est bâti en moellons. Dans cette cense, on peut encore voir : au porche d’entrée, une clé de voûte datée de 1756, une potale murale de 1685 avec l’inscription « AVE MARIA AFFLICTORUM CONSOLATRIX » et enfin dans une étable un pilier central d’où partent 8 arcs de voûte. La grande cense de Moulins Son origine remonte sans doute à la fondation du monastère lui-même, la ferme étant le complément indispensable à toute communauté, sa source d’approvisionnement. Les premières terres à être ajoutées au domaine primitif, le furent lorsque le comte de Namur Guillaume II légua à l’abbaye, en 1418, le fief de Moulins qu’il avait acheté le 12 août 1415 à Lambert le Sage, bourgeois de Dinant. Ce dernier tenait ces terres de Lorar de Saint Vincent qui lui-même les avait acquises de Bodechon de Hongniselle et de Wauthier de Wallesin. Ainsi l’explique le cartulaire. (26) Un aperçu sur le dénombrement des terres sera fait au chapitre suivant. En 1422, l’abbaye acquiert d’autres biens à Moulins. Par devant le bailli et les hommes du fief de Montaigle, Carembeau et Daneal de Bourges échangent le grand fief de Moulins et le petit fief de Homen (Wamant) et Salet pour des terres et rentes situées à Temploux et une somme d’argent. (27). En 1439, l’abbaye acquiert de Collart de Grainges, trois pièces de terre gisant en Prée. D’autres acquisitions se feront de 1458 à 1643. (28) La ferme de Moulins possédait la plus grande partie de ses terres à Anhée. A ce propos, le répertoire des titres et propriétés note le transport par le comte de Namur à l’abbaye, en 1418, de tous les héritages (possessions) qu’il avait acquis de diverses personnes à Anhée. (29) En 1448, Jean de Wilre donne en accense héritable une maison avec tenure séante près de la chapelle d’Anhée, avec tous les héritages, cens, rentes et bois. En 1516, l’abbaye, par voie d’échange contre une rente sur une maison à Namur, obtient un bonnier de terre nommé le cornu bonnier à Anhée. En 1557, Moulins obtient « en aumône » un bonnier de terre au long bâtis. (30) Il est probable que ces acquisitions successives ont constitué à la longue le grand domaine de la ferme de Moulins qui s’étendait sur plus de 100 hectares dans la campagne d’Anhée. Parmi les terres les plus importantes, on trouvait : la couture Saint Hubert : 5 hectares la couture devant le bonnier Dieu : 12 hectares la couture devant le Saule : 14 hectares la grande campagne : 42 hectares. Cela revient à dire que presque tous les terrains situés à Anhée à droite de la grand-route en direction de Dinant, appartenaient à l’abbaye ce qui avait rendu impossible toute urbanisation de la localité le long de cette route. L’abbaye disposait encore de grandes terres sur l’ancienne commune de Warnant. Sur ces dernières, 40 bonniers avaient été réservés à la petite ferme dont la production servait à la subsistance de la communauté des religieux et de leurs gens de maison. De cette petite ferme, comprise dans l’enceinte de l’abbaye et jouxtant la grande, dépendaient notamment la terre à la vigne que bordait le bois de la Bossière et aussi le champ à l’arrière de l’abbaye. La cense du Pairoir à Bioul La première mention relative aux biens de Bioul, date de 1401 quand Jean Jadar achète une grange et tenure à Jean et Pierre Fraison de Néverlée. En 1403, le même Jean Jadar achète des biens à Colin Courtois. Sans doute l’abbaye possédait-elle déjà des terres et prés à Bioul puisqu’en 1421 un mesurage en est fait. Le 22 août 1451, Colar Jadar cède son domaine de Bioul, en aumône, à l’abbaye de Moulins qui, en 1454, l’accense (donne en location) à Baudouin de Douxchamps moyennant un rendage annuel de 15 muids d’épeautre. La cession des biens fut-elle contestée ? On peut le supposer puisque les abbés d’Aulne et de Grandpré enquêtent en 1477 sur une convention passée entre Moulins et les héritiers de Colar Jadar. En 1483, l’abbaye acquiert encore deux prés « assez près deBrogne». (31) Il faut attendre le XVIIe siècle pour trouver des mentions précises au sujet de la cense du Pairoir. En 1653, elle est louée à bail à Guerard Hans : les grains (récolte) sont partagés par moitié, les tailles ordinaires sont à charge de Moulins, les cens dus au seigneur de Bioul sont à charge du censier qui donnera en outre pour le « vin », 3 florins à l’abbé et 3 au monastère. (32) Enfin, dans le répertoire des procédures, on note en 1672, un adjoumement (assignation à comparaître) du conseil provincial aux religieux de Moulins touchant le non- paiement des deniers dus au seigneur de Bioul « à raison de l’acquisition de la cense du Pairoir qu’ils avaient faite de Gilles Hubert... ». (33) Il est probable que c’est l’ensemble des biens de diverses origines signalés à Bioul, qui ont constitué les terres d’exploitation de la cense du Pairoir. Dans la déclaration des biens de 1752, l’abbaye signale que la cense possède 33 bonniers de terres et 7 de prairies. (34) L’ouvrage sur Bioul de l’abbé Léonard situe cette cense dans le quartier Roûcha. C’est actuellement une maison particulière dont la façade a été revêtue de briques jaunâtres. Les censes de Solonne et du Baty à Purnode La cense de Solonne existe encore aujourd’hui et se situe au cœur du village de Purnode. L’existence en est attestée depuis 1429, elle appartient alors à Lambert de Schaltin, elle passe à son fils Jean qui la vend en 1466 au Duc de Bourgogne. Lors des luttes entre la Principauté de Liège et le Comté de Namur, elle est « arse et détruite par ceulx de Dinant » en 1445, puis est reconstruite. Vers 1500, elle est propriété de Jean Parent. Son fils devenu novice à l’abbaye de Moulins, la lègue à celle- ci en 1510, à l’occasion de sa profession de foi religieuse. Au décès de Jean Parent, la cense devient propriété de l’abbaye qui la donne en accense héritable sous condition d’une redevance annuelle de 50 muids de grains, réduits à 40 en l’an 1542. L’abbaye fait relief de la rente sur Solonne en 1609 et verse 450 florins pour redevenir propriétaire à part entière de la cense qui dès ce moment sera cédée à des fermiers par des baux de 6 à 9 ans. Dans la déclaration de 1752, la cense de Solonne compte 48 bonniers de terres labourables, 6 bonniers de pachis et trieux et 1 bonnier de jardins. (35) La cense du Baty se situe non loin de celle de Solonne, à la lisière sud de Purnode. Son existence est attestée depuis 1556. Elle est achetée en 1682 par l’abbaye de Moulins. Elle était pour lors chargée des rentes suivantes : 50 muids 2 setiers d’épeautre muid un quart d’avoine 2 livres et demi de laine sur deux ans, 2 chapons, 2 florins 9 sols 5 deniers en argent. (36) Et ce n’était pas tout II serait fastidieux de vouloir démêler l’entrelac de ces rentes caractérisant la complexité de la propriété sous l’ancien régime. Tout ceci n’est donné qu’à titre d’exemple. La déclaration de 1752 porte à l’actif de la cense du Baty : 33 bonniers de terres et 7 de prairies. La cense de Heneumont Son origine n’étant pas précisée dans le cartulaire de l’abbaye, cela donne à penser que sa possession est très ancienne. Selon tacite probabilité, les terres de Heneumont faisaient partie du fief donné par le Comte de Namur, à l’abbaye, en 1418. Une première mention plus explicite apparaît en 1503 : il s’agit de l’acquisition faite par le monastère, des mains de Guillaume Closquier, de 6 à 7 bonniers de terre gisant à Heneumont et d’un demi bonnier gisant à la couture en Prée. (37) La déclaration des biens en 1752, attribue à la cense de Heneumont 45 bonniers de terres labourables, 15 de roches et trieux, 3 de prairies. En 1753, la cense est remise pour un bail de 9 ans, à Théodore Tahyr, semences et récoltes seront partagées par moitié, les impôts sont à la charge de l’occupant hormis les impositions de guerre supportées par moitié. La cense est en outre chargée de 15 setiers d’épeautre et de 24 sols à payer annuellement au curé de Senenne. (38) La petite cense d’Anhée Une première mention en est faite en 1564 dans le répertoire des titres de l’abbaye. Il y est question du transport fait, au profit de Simon Liroux d’une petite bouverie, maison, grange situées à Anhée moyennant 12 petits muids d‘épeautre de rente. Au début du XVIIe siècle, le bien appartient à Martin Liroux dont la cense portera le nom pendant des décennies. (39) Par acte de change du 18 juillet 1668, l’abbaye acquiert cette petite cense qui exploite alors 15 bonniers dans les campagnes d’Anhée. Les bâtiments se trouvaient à l’angle formé actuellement par les rues du Bon Dieu et J. Petit. Le bien était grevé de nombreuses rentes : environ 30 muids de grains, 4 chapons et demi, 51 setiers d’épeautre et 35 sols. Les principaux bénéficiaires en étaient : l’hôpital, l’église et le curé de Bouvignes, le curé de Senenne, le vicaire de Weillen et 3 particuliers : Charlet, Raymond et de Villenfagne. Ceci illustre bien la difficulté de rentabiliser, sous l’ancien régime, une petite exploitation agricole chargée de tant de rentes annuelles. (40) Lorsque l’abbaye devint propriétaire de la ferme, elle augmenta la superficie des terres exploitées par prélèvement sur ses propres terrains, de la sorte la surface exploitable se monta à 38 bonniers de terres de labour et 4 de prairies. La cense d’Ohet Ce fut la dernière acquisition de l’abbaye. Au XVIIe siècle, le domaine d’Ohey appartenait au Baron de Roost, seigneur de Hontoir. En 1699, il la céda au Baron de Spontin. Le 29 mars 1757, le Comte de Spontin, tuteur des enfants de feu le Marquis de Spontin, vendit à l’abbaye, la cense d’Ohet avec ses terres et charruages. Le domaine s’étendait sur 43 bonniers de terres labourables, 5 de prairies et 28 de trieux. Sous Marie-Thérèse d’Autriche, les ordres religieux ne pouvaient plus acquérir des biens comme ils le voulaient. Moulins put acheter Ohet parce que la cense était enclavée dans son domaine et que l’évacuation des récoltes devait forcément se faire par les terres du monastère d’où découlait la possibilité de conflits. D’autre part, Moulins bénéficiait déjà sur Ohet, d’un cens seigneurial de 6 muids d’épeautre et de quelques chapons. Le prix fut fixé à 13.000 florins correspondant à un arrentement annuel de 433 florins 2 sols 4 deniers. (41) Le prieuré de Saint Héribert dans la forêt de Marlagne Dans l’espace compris entre la Sambre et la Meuse, s’étendait jadis, au Sud de Namur, la forêt de Marlagne qui occupait plus de 4.000 hectares. Elle fut habitée dans les premiers siècles du christianisme par des ermites qui furent plus de deux cents. Saint Héribert en fut un des plus illustres. L’hagiographie officielle n’ayant pas retenu son nom, il est probable qu’il s’agit d’un saint de tradition populaire. Il aurait vécu au XIIe siècle et serait mort en 1120. De toute façon, un culte s’est créé et le tombeau d’Héribert devint un lieu de rencontre pour pèlerins. Une chapelle y a été élevée dont l’existence est attestée depuis 1212. Le pape Honorius III, par une bulle du 19 décembre 1224, prit les ermites sous sa protection. (42) Il existe aux Archives de l’État à Namur, une liasse de documents relatifs au prieuré Saint Héribert. L’un d’eux, bien qu’entaché d’erreurs et d’imprécisions, mérite d’être cité. Son titre «FONDATIO EREMICULTURAE SANCTI HERIBERTI UNITAE ABBATIAE B. M. VIRGINIS DE MOLINIS ». (43) Aux environs de l’an 1212, l’anachorète, le bienheureux Héribert menait une vie d’une exceptionnelle intégrité de moeurs. Il pratiquait cette vie d’anachorète dans la forêt de Marlagne et y fonda un ermitage, plus connu des saints que des hommes, endroit où aujourd’hui on rend un culte à sa dépouille sacrée, grâce à la grande dévotion de ceux qui y viennent en pèlerinage (traduction du latin). Le document poursuit en rappelant que l’endroit où se trouve le tombeau, a été donné à l’abbaye de Moulins et qu’un religieux y a été envoyé pour exercer le culte divin. Ce document imprécis sur le plan historique doit être rectifié à la lumière des analectes pour servir à l’histoire ecclésiastique de la Belgique. (AHEB - Tome V - pages 375 et 376) (44) Un premier document concerne la fondation d’une chapellenie à l’ermitage de Marlagne par Philippe de Courtenay, comte de Namur, le 20 janvier 1225. Le passage essentiel de ce document, rédigé en latin, peut se traduire comme suit : en vue de l’installation à l’ermitage Notre-Dame de Marlagne, d’un prêtre qui puisse y célébrer le divin mystère pour le salut de mon âme et de celles de mes prédécesseurs, j’ai donné à cette même église et lui ai concédé en complète et perpétuelle donation charitable, dix muids de mouture selon le muid de Namur, à prendre à mon moulin de Floreffe et à en avoir possession paisible et pacifique tout le temps que le prêtre susdit y célébrera le divin mystère. Le 12 avril 1238, Jean d’Aps, évêque de Liège confirme la donation de la chapelle de Marlagne faite à l’abbaye de Moulins par Baudouin, comte de Namur et empereur de Constantinople. À cette époque, Moulins était occupé par les moniales. Après leur remplacement par les moines, en 1414, un de ceux-ci résida en permanence au prieuré. Le dernier à l’habiter à la fin du XVIIIe siècle fut le frère Poncelet qui a laissé des documents intéressants que nous exploiterons infra. Au prieuré et à la chapelle était joint un « enclos » composé de prairies, verger, jardin, le tout d’une contenance de 7 bonniers. (45) C’était donc une sorte de petite exploitation agricole qui vivait en autarcie, ainsi que le montrent les comptes du dernier moine exploitant. Du prieuré de Saint Héribert, construit sur la commune de Bois-de-Villers, à côté de sa limite avec Floreffe, il reste aujourd’hui la demeure du desservant. Une superbe pierre sculptée portant les armoiries du dernier abbé de Moulins, dom Bruno Valiez, surmonte la porte d’entrée. Elle est datée de 1750, année où fut reconstruit le bâtiment. La chapelle a disparu. Les bois de l’abbaye de Moulins À la fin du XVIIIe siècle, l’abbaye possédait de nombreux bois qui totalisaient plus de 300 hectares et se localisaient dans la région proche du monastère. Le plus important était le grand bois de Moulins de 144 bonniers, situé entre l’abbaye et la commune d’Anhée, acquis par les religieuses en 1238, moitié par achat, moitié par donation. À Salet, 81 bonniers de bois couvraient les pentes descendant vers le ravin ou vers la Molignée. Une lettre d’acquisition datant de 1475 indique que le comte de Namur a cédé au monastère, en arrentement héritable, des bois et raspailles (taillis), appelés Maffe et Bossire et ce moyennant un rendage annuel d’un muid d’épeautre. (46) Le bois de Bossire est appelé de nos jours la Bossière et s’étend le long de la Molignée sur le coteau exposé au Sud bordant la terre à la vigne. Sa superficie était de 52 bonniers. L’origine des autres bois ne peut être précisée, on peut penser qu’ils faisaient partie des fiefs de Moulins et de Pont cédés à l’abbaye. Ils se situaient au sud de la Molignée. Citons les bois de Creute : 18 bonniers, du Varroy : 8 bonniers, le bois sous Haut : 9 bonniers, le petit bois sous la juridiction de Moulins : 11 bonniers, le bois appelé Champ, dans le voisinage immédiat de l’abbaye : 13 bonniers. L’abbaye organisait des ventes publiques d’arbres. Une ancienne affiche rappelle « que le quatorzième du mois de février 1732, les Révérend Abbé et couvent de Moulins feront passer au plus offrant et dernier enchérisseur, quantité de gros chênes excroissans dans leur Bois de Rouvroy, proche le rivage de Meuse » (photocopie en annexe). Quand l’abbaye fut mise sous économat, l’administrateur de Francquen, après avoir établi la liste des bois, formule cette remarque générale : « Pendant les dernières années de l’administration des religieux, ces bois ont été en grande partie dépouillés de la haute futaie de sorte qu’ils ne sont plus de grande expectation pour leurs coupes ». (47) Le mauvais état des finances de l’abbaye avait conduit à une surexploitation dommageable. Les maisons et jardins Dans les villages voisins de Moulins, l’abbaye avait acquis au fil des siècles, des biens immobiliers de taille modeste qui consistaient principalement en maisons et jardins. Leur origine était souvent obscure tout au moins pour les biens acquis aux XVe et XVIe siècles. En établissant la liste de ce patrimoine, de Francquen constate que l’origine n’en est pas établie au moyen de titres. En parcourant le cartulaire, nous trouvons cependant trace de l’origine de quelques maisons. Citons-les à titre d’exemple. En 1449, Jean de Wilre avait donné à l’abbaye une maison avec pourprise située près de la chapelle d’Anhée. De cette maison, on ne trouve plus trace au XVIIIe siècle. A-t-elle été détruite lors des guerres qui ont affligé le village d’Anhée au XVe siècle et son emplacement incorporé aux terres de culture de l’abbaye ? À la fin du XVIIIe siècle, l’abbaye possédait à Anhée : les jardins appelés Cortil Jacques et Cortil Antoinette, le grand jardin avec une maison divisée en deux. Nous avons vu ci-avant que cette maison et ce jardin constituaient la dot de l’abbé Maximilien Damanet à l’aube de sa vie religieuse. Le « grand jardin » aura une influence considérable sur l’évolution du village d’Anhée au XIXe siècle, puisque c’est sur son terrain que seront construits l’église, le presbytère et l’école des filles.
Les fermes de l’abbaye de Moulins
Bâtiment datant probablement de 1619 construit sous l’abbatiat de Mathias Dor
Grange construite en 1762. A l’intérieur on voit une charpente d’un travail remarquable
La ferme de Salet ayant appartenu à l’abbaye de Moulins
Quartier réservé à l’abbé où il prenait des journées de détente
Potale datée de 1685
Vue actuelle de l’ancien prieuré de Saint-Héribert à Bois-de-Villers
Au dessus de l’entrée, la pierre taillée est aux armes du dernier abbé de Moulins, Bruno Vallez. De pourpre au sautoir d’argent accompagné de quatre étoiles. La devise: “FULGET CRUX”. La croix rayonne.
L’abbaye possédait encore la maison de la Roche bâtie à la Roche à Moulins, qui allait subsister jusqu'à nos jours, on n’en connaît pas l’origine, sans doute fut-elle construite parce que des forges se trouvaient là. De cette maison dépendaient des broussailles, rochers, trieux et terres sartables qui s’étendaient autour des forges. (48) À Namur, l’abbaye possédait, rue Ad Aquam selon les documents, rue Notre-Dame selon d’autres, une maison servant de refuge, c’est-à-dire de lieu où les moines se retiraient à l’intérieur d’une place-forte lorsque les temps étaient troublés. Parmi les terres et jardins non rattachés aux fermes, citons en vrac : les trieux de la campagne de Creute : 10 bonniers entre Wamant et Haut-le-Wastia, les prairies es Praule c’est-à-dire les terrains le long de la Meuse en direction de Hun, des jardins ou terres à Floie, Salet, Jandrain et Wasseige. Les rentes Il s’agit de contributions généralement en grains hypothéquées sur des biens immobiliers : maisons, fermes ou cultures. Les rentes dont bénéficiait l’abbaye étaient très nombreuses et variaient de quelques setiers à plusieurs dizaines de muids. Il ne peut être question de les reprendre toutes puisqu’en 1785, l’administrateur civil en a répertorié 122. Beaucoup de rentes avaient été fondées par des propriétaires de maisons ayant stipulé par testament qu’à leur décès, une rente déterminée en argent ou en grains serait payée annuellement à l’abbaye par ceux qui occuperaient le bien = propriétaires ou locataires. Il se constituait ainsi une rente pratiquement perpétuelle. Des rentes hypothéquées sur des maisons, on en connaît huit à Anhée, à Buley, Bois-de-Villers, Fosses, Haut-le-Wastia, Lustin, Maredret, Moulins (maison de pierres), Pumode, Salet, Wamant. (49) En 1785, pour de nombreuses rentes, de Francquen signale qu’on ne trouve ni titre, ni constitution et parfois aucun paiement depuis des dizaines d’années. Attardons-nous à quelques rentes plus importantes et plus précises. Un cens de 10 muids de mouture, moitié seigle, moitié froment est dû à charge de la recette domaniale pour l’entretien d’un religieux à l’ermitage de Saint Héribert. Jusqu'à la fin de l’ancien régime, cette donation évaluée alors à 132 florins, fut payée par la recette des domaines à Namur. En 1445, l’abbaye de Brogne à Saint-Gérard a affecté à Moulins une rente de 30 petits muids d’épeautre sur la cense de Montigny. Quatre muids d’épeautre hypothéqués sur la cense de Champalle étaient payés par la recette de Bouvignes. En 1471, Jean le Comu, prêtre, donne à Moulins une rente de 4 muids sur ses biens à Dumal. Les rentes dues à Moulins ne consistaient pas seulement en grains, il y en avait aussi en chapons (poulets) et en argent. Parmi celles-ci signalons-en trois qui sont rappelées dans le chapitre consacré aux forges. Par acte du 17 avril 1742, les frères Montpellier sont redevables d’une rente de 22 florins 16 sols : 20 florins pour l’engagère du terrain du fourneau, 2 florins 16 sols pour l’extraction de pierres de castine à la Bossière. Par acte du 26 avril 1742, les mêmes doivent 20 florins pour l’engagère du terrain où seront construits la forge et le maquat. Les deux rentes seront reprises par Dominique Dautrebande successeur des Montpellier. Il paie en outre une rente de 10 florins pour reconnaissance d’un moulin à huile à transformer en forge. (50) Parmi les autres biens de l’abbaye, sont à signaler encore : Quatre étangs servant à l’élevage du poisson et à la pêche : il y en avait trois contigus au jardin de l’enclos et celui de Ninsal, au Sud de la      route montant à Haut-le-Wastia. Le moulin à farine dans la clôture de l’abbaye. La papeterie édifiée par les religieux dans le fief de Pont. Une carrière à Salet. Nous reviendrons plus en détail sur ces installations qui feront partie du projet industriel de Moulins.
L’abbaye cistercienne de Moulins Warnant Partie 1
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