Partie 1 Partie 2 Partie 3 Partie 4
L’abbaye cistercienne de Moulins Warnant Partie 5
Partie 5 Partie 6
En bon administrateur, de Francquen s’ingénie à tirer profit des terres de l’abbaye : le jardin et le verger sont loués à Quérité. La houblonnière est mise en culture. A l’arrière du couvent, il y avait de petits jardins que cultivaient les moines. Sur des parcelles se trouvaient de « petits cabinets » en planches où se remisait sans doute l’outillage. L’administrateur les fait démonter pour en vendre le bois. Tout doit être récupéré et vendu, ainsi le veulent les commissaires de la caisse de religion. L’ancienne chapelle d’Anhée au centre d’une controverse à propos d’un droit de « pas tu rage ». En 1788, de Francquen se trouva entraîné dans une controverse avec les manants d’Anhée à propos d’un droit de pâturage lié à l’existence d’une chapelle. La contestation fut portée devant le Procureur général du Conseil de Namur. Les pièces concernant cette affaire, conservées aux Archives de l’État, nous éclairent sur ce qu’étaient les propriétés de l’abbaye à Anhée, sur la présence, dans ce village, d’une chapelle très ancienne et enfin sur certains droits dévolus à nos ancêtres. En annexe à la correspondance du Procureur Général étaient jointes des copies de trois actes qui constituent les fondements juridiques de cette affaire et qu’il convient d’examiner chronologiquement. Acte du 29 juillet 1494 Il est pris au nom de Maximilien d’Autriche, époux de Marie de Bourgogne, fille de Charles le Téméraire et, partant, héritière des États bourguignons dont faisait partie le comté de Namur. Tout d’abord, il y est rappelé que les religieux de l’abbaye cistercienne de Moulins, possèdent à Anhée, depuis très longtemps, une maison et une cense pour lesquelles ils se sont engagés à payer annuellement aux comtes de Namur : quatre muids d’épeautre et huit muids deux setiers d’avoine. En 1494, ces biens sont en piteux état, ayant été pillés et incendiées lors des guerres qui ont ravagé tout le pays au cours du XVe siècle. Or, il se fait, qu’à Anhée, dans le voisinage de la cense appartenant à l’abbaye, se trouve une chapelle très ancienne dont personne ne comiaît l’origine. Les manants d’Anhée ne sachant qui l’a fondée, en ont pris eux-mêmes l’entretien et l’administration et y font célébrer annuellement huit messes par les religieux de Moulins, grâce aux menus profits attachés à cette chapelle. En 1494, les religieux de Moulins ont l’intention de faire réédifier par des frères convers, leurs maison et cense d’Anhée et proposent à cette occasion de faire restaurer la chapelle qui se trouve dans le voisinage de leur cense. La proposition est acceptée. Par acte du 29 juillet 1494, Maximilien accorde « aux supplians » de réunir « ladite chapelle à ladite maison et cense d’Anhée » et leur donne « l’entremise, conduite et gouvernement avec les profits, revenus et levées y appartenant », à charge, pour les religieux de continuer à dire les huit messes annuelles, d’entretenir ladite chapelle en bon et suffisant état, et d’y célébrer toutes les semaines une messe de requiem pour les âmes des comtes et comtesses de Namur. Opportunément, il est rappelé dans l’acte que le religieux de Moulins doivent continuer à payer les quatre muids d’épeautre et les huit muids deux setiers d’avoine, faute de quoi leurs maison et cense d’Anhée seraient « fourgargnées par loy » c’est-à-dire aliénées au profit du Souverain. Pour terminer, il est ordonné aux autorités locales : gouverneur et officiers dudit Namur, de laisser les religieux jouir paisiblement de leurs biens.L’abbaye possédait à Moulins un grand pré ainsi délimité : « joindant vers Meuze au chemin du champ de Mollin, vers le bois au chemin Roial, vers la forge, au bÿ d’icelle et du côté dudit monastère, à leur pachis ». Nous pouvons identifier ce pré comme étant celui qui s’étend devant le monastère. Le bois près du chemin royal est le grand bois de Moulins acquis par la moniales en 1239, sous le nom de forêt de Rouveroy. Quant à la forge, c’est celle de la Roche à Moulins. Les habitants d’Anhée avaient obtenu un droit de « pasturage » sur le pré, après la première récolte de fourrage. Par l’acte de 1603, passé devant notaire, ils consentent à renoncer à ce droit au profit des religieux de Moulins, à condition que ceux-ci disent une messe à leur intention, tous les vendredis, dans la chapelle d’Anhée, en fournissant les ornements, luminaires et autres choses nécessaires moyennant perception des « aumônes, offrandes et pieuses dévotions ». S’il advenait que le vendredi tombât un jour férié, la messe serait dite un autre jour de la semaine. L’acte précise encore que les habitants d’Anhée « cèdent et quittent leur dit droit de pasturage touchant ledit preit tant pour eux que leurs successeurs et aiant causes ». Acte notarié du 6 septembre 1647 Ce jour-là, des habitants d’Anhée comparaissent devant le notaire parce qu’une requête a été présentée en leur nom mais à leur insu. Cette requête tend « à déposséder le Rd Abbé et couvent de Mollin de guardir à main ou de faire paistre par leurs bestiaux en ladite prairie dite du Molin dont le droit de pasturage que lesdits manans y pouvoient avoir, at esté cédé au profit desdits Rd Abbé et Couvent, à charge de chaque vendredÿ célébrer par un religieux dudit monastère une messe en la chapelle dudit Anhée ». Considérant les grands biens et commodités qu’ils reçoivent de la célébration des messes en leur chapelle, les habitants déclarent désavouer la requête et entendent que le contrat de 1603 subsiste « sans ÿ voulloir jamais nÿ en façon quelconque contrevenir ». Dans le siècle et demi qui suit, peu d’événements touchant cette affaire nous ont été conservés. Toutefois, des rapports de visites faites par J.C. Dufour, curé d’Anthée et doyen de Bouvignes, dans les paroisses de son doyenné, nous informent sur le sort final de la chapelle d’Anhée. Lors d’une visite faite le 23 juillet 1770, le doyen a constaté l’état de délabrement de la chapelle « Quod potius stabulum sapiebat quam domum Dei » - « Qui sentait plus l’étable que la maison de Dieu ». Il fait donc rapport à l’évêque de Namur qui interdit le culte dans la chapelle « Propter indecentiam ejus quae major esse non poterat » - « à cause d’une indécence qui ne saurait être pire ». Le 16 octobre 1772, le même doyen consacre une visite à Senenne. Il constate qu’en ce qui concerne la chapelle d’Anhée, les moines de Moulins y célèbrent encore un office le vendredi. Il semble que cette célébration ait pris fin au plus tard en 1773. Par après, la chapelle est tombée complètement en ruine et finalement a disparu à une époque indéterminée. L’expulsion des religieux de Moulins en 1787, amène les manants d’Anhée à entreprendre une action en justice dont nous allons suivre les phases.Le 17 mai 1788, au cours d’une assemblée, les manants décident d’envoyer une requête à la justice impériale, faisant remarquer qu’en raison d’une cession du droit de pâturage sur une prairie dite « le grand pré», l’abbaye de Moulins s’était engagée à célébrer un messe hebdomadaire dans la chapelle d’Anhée. L’abbaye s’est relâchée de cette obligation tout en gardant le droit de pâturage. Les habitants, qui ont constitué l’agent Beckers pour faire les devoirs nécessaires, demandent que la célébration de la messe soit reprise dans leur chapelle à restaurer ou bien que le droit de pâturage leur soit rendu. Le 30 août 1788, le Procureur général à qui le litige est soumis, rend un avis. Il examine d’abord les actes qui constituent le fondement de cette affaire : l’acte de 1494 par lequel l’abbaye de Moulins a été chargée de l’administration de la chapelle d’Anhée, à condition de l’entretenir en bon et suffisant état, mais non de la réédifier. les actes notariaux de 1603 et 1647 par lesquels les religieux se sont engagés à dire une messe chaque vendredi de la semaine dans la chapelle, en échange du désistement par les habitants d’Anhée de leur droit de paisson après la première récolte de foin. Le Procureur général fait observer que le droit, pour les habitants d’Anhée d’avoir une messe hebdomadaire reste fondé et qu’il est probable que les religieux de Moulins se sont acquittés de cette obligation après l’interdiction d’utiliser la vieille chapelle, en faisant célébrer cette messe dans l’église de l’abbaye. La messe à célébrer tous les vendredis avait une fin générale qui était de prier Dieu, tant pour les manants d’Anhée que pour leurs devanciers et successeurs, ce qui pouvait s’accomplir partout ailleurs, la désignation de la chapelle d’Anhée n’étant faite que pour la commodité des habitants. D’autre part, les religieux de Moulins étaient chargés de l’entretien de la chapelle mais non pas de la réédifier après une ruine due à l’effet du temps. Si donc les manants d’Anhée se chargeaient eux-mêmes de la reconstruction de la chapelle, la messe pourrait de nouveau y être célébrée à leur intention. Et le Procureur général en vient à la conclusion, faite à la fois de juridisme et de ruse. Il remarque que « l’honoraire de cinquante-deux messes par an ne fait qu’une dépense modique tandis qu’il y aurait une perte considérable à rendre à ceux d’Anhée le droit de paisson dans le pré, après la récolte du foin, ce qui priverait le fermier de la cense, dont ce pré est une annexe, du regain à y croître ou de la pâture exclusive de la seconde herbe pour son bétail, objet d’autant plus digne d’attention que la contenance de ce pré est, au dire de l’administrateur des biens de l’abbaye, de sept à huit bonniers ». Et voici l’épilogue de cette affaire qui avait abouti finalement au Conseil royal du gouvernement. Le 9 mai 1789, l’administrateur des biens de l’abbaye, est chargé de notifier aux habitants d’Anhée que la célébration de la messe en cause a continué à se faire les dimanches et fêtes dans l’église de l’abbaye supprimée de Moulins. Que si ces habitants veulent que cette messe soit dite en leur chapelle, c’est à eux de la remettre en état. Nos ancêtres se trouvaient donc déboutés par le biais d’astuces juridiques, alors que leur requête était fondée et logique : si la messe n’était plus dite dans la chapelle d’Anhée, il fallait leur rendre le regain.En 1789, de Francquen est invité à étudier la mise en vente par lots des bâtiments de l’abbaye. Ceux-ci étant inoccupés depuis deux ans, nécessitent un entretien coûteux et ne rapportent presque rien, ce qui les condamne aux yeux des commissaires de la caisse de religion. Projet de vente de l’abbaye Il est évident qu’il n’est pas facile de vendre en détail le site de Moulins où voisinent de grands immeubles, une église, d’immenses jardins, deux fermes et un moulin. Après consultation d’experts, de Francquen conçoit un projet de vente en onze lots. En les parcourant brièvement nous reverrons toute la structure interne du monastère. 1er lot : l’église, le cloître, la sacristie, le réfectoire, les cellules, la bibliothèque, les jardins particuliers des moines, une partie du verger. 2eme lot : le quartier d’hôtes, bâtiment encore neuf qui formerait « une jolie maison de campagne », une partie du verger, un jardin avec un étang, un canal d’une demi-lieue avec drève. 3ème lot : le quartier de l’abbé, bâtiment neuf, un jardin d’un bonnier avec deux étangs. Jardin entouré de drèves, de charmilles et d’arbres fruitiers. Évidemment, il est malaisé de séparer de vastes bâtiments contigus en trois tronçons. Cela suppose que l’on condamne des couloirs qui reliaient l’église aux bâtiments conventuels. Le projet de vente est donc assorti d’une foule de mesures pratiques : murs intérieurs à élever, portes et fenêtres à condamner. Les 4ème et 5eme lots sont constitués respectivement par la petite ferme (53 bonniers) et la grande (153 bonniers). C’est grâce à ce projet de vente que nous savons que les deux fermes sont contiguës et se partagent certains bâtiments. Ainsi en va-t-il du bâtiment de 1619 aux formes allongées dont les deux dernières écuries reviendront à la petite ferme. La grange elle-même est à subdiviser. La grande cour est commune et servira aux fumiers placés côte à côte. Les 6eme, 7eme, 8cme lots concernent le bois de champ proche de l’abbaye, quelques terres et le moulin à farine. Le 9eme lot est la maison de La Roche proche du rivage de Meuse, servant d’auberge et présentée comme étant avantageuse pour toute espèce de commerce. Le 10eme lot est constitué par le trébuchet, filet où se prenait du poisson en Meuse et qui était placé un peu en aval de la maison de La Roche. Admirons encore la stabilité de la propriété sous l’ancien régime. Le trébuchet ou venne avait été accordé aux moniales cisterciennes en 1247. Enfin le 11leme lot concerne la seigneurie de Moulins que les moines détiennent depuis 1648, avec tous les droits seigneuriaux, parmi lesquels le droit de chasse et de pêche sur toute l’étendue de la seigneurie. C’est ici que l’on apprend que « par un effet de la bienfaisance de notre Souverain », le droit de mortemain est enfin aboli. En cette année où éclatait la révolution française, il était urgent que ce droit féodal particulièrement détestable, soit supprimé. Le projet de vente met en lumière un point essentiel = la propriété des chemins de la seigneurie. A l’intention de l’acquéreur on précise, qu’il aura la propriété du terrain formant le chemin d’aisance conduisant de la barrière Saint Bernard, proche de l’abbaye, jusqu'à la levée de la nouvelle route du Luxembourg et le rivage de Meuse. Il devra donner libre accès à qui devra l’emprunter, toutefois son entretien jusqu’aux forges, restera à charge du fermier Deloge de la grande cense de Moulins, pendant toute la durée de son bail. L’acquéreur de la seigneurie aura aussi la propriété du chemin allant de Moulins à la papeterie, à Warnant et à Bioulx. (154) De Francquen voudrait profiter de la vente des bâtiments pour adjuger aussi ce qui reste dans l’église = tableaux, stalles, et le grand autel en marbre réputé pour sa beauté. En fait, le projet de vente du site de l’abbaye resta sans suite parce que le régime autrichien voulait garder les terres de culture et les bois. Comment dès lors vendre les bâtiments des fermes sans leurs terres ?En cette année 1789, de Francquen reçoit encore quelques directives. Il doit remettre gratuitement les reliquaires de Moulins à l’évêque de Namur et ceux de Saint Héribert au curé de Bois-de-villers. Le reçu que ce dernier en a donné figure en annexe. Pour le tabernacle de l’église de Moulins, au moins deux amateurs se font connaître : le couvent des Frères mineurs de Dinant et le curé de Senenne. À soumissions égales, ce dernier aura le préférence. Les commissaires de la caisse de religion voulant réduire encore les frais d’entretien à Moulins, le concierge est renvoyé et la surveillance des bâtiments confiée à Ramoisée, garde des bois. A propos des jardins, les commissaires préconisent de renoncer à leur décoration et au contraire de les faire fructifier. En septembre, de Francquen dresse l’état des frais consentis pour la culture des jardins, du verger et des terres de Saint Héribert et constate qu’après vente des légumes et des fruits, il reste peu de bénéfice. En conséquence, il conseille d’accepter l’offre de Quérité, locataire de la papeterie, qui a proposé 112 florins pour la location des jardins et du verger de Moulins. L’administrateur propose aussi de louer la chasse et la pêche de la seigneurie. La révolution brabançonne. L’hôpital militaire En fin d’année 1789, un sentiment de mécontentement contre le régime autrichien se manifeste ouvertement dans les Pays-Bas. Les Etats lèvent des troupes, affrontent les impériaux et les repoussent, dans un premier temps, sur une ligne Beauraing - Hastière. Namur est enlevée le 17 décembre 1789. Une nouvelle offensive de l’armée belgique est déclenchée en mai 1790 mais échoue. Les Autrichiens repoussent les patriotes et viennent border la Meuse de Dave à Heer - Agimont. La plaine d’Anhée est transformée en centre défensif. Pendant ces événements troublés, de Francquen a abandonné son poste à Moulins, c’est pourquoi, le 24 juillet 1790, les États confient à Jean François Van Ringh, négociant à Namur, l’administration des biens de l’abbaye. Moulins, à l’arrière du front de Meuse, est choisi par l'armée belgique pour être le siège d’un hôpital militaire, les grands bâtiments et les cellules du couvent s’y prêtant bien. Quelques documents restés dans les archives fournissent des détails sur le fonctionnement de l’hôpital. Un maître-charpentier de Namur est chargé de livrer et de monter des lits en bois. En novembre 1790, 143 lits sont démontés et renvoyés à Namur pour désinfection, ils sont remplacés par d’autres. Un nommé Thomas Pasquet fournit la viande : 1730 livres pour 271 florins pendant le mois d'octobre 1790. Les médicaments ou drogues sont livrés par l’hôpital militaire de Namur. Dans la liste on note : décoction de tamarine, électuaires antiphlogistiques, onguents, farine résolutive avec camphre, thé, décoction de quinquina, mercure, etc... Le chirurgien-major Baptiste Uytterhoven, opérant à Moulins, y a vécu un drame qu’il raconte dans un mémoire adressé le 28 avril 1791, aux seigneurs des États de Namur. « Par la multitude des malades et blessés qu’il a traités et médicamentés, il a eu le malheur de contracter la fièvre putride, si dangereuse qu’il a été administré de tous les sacrements ». A l’approche des troupes autrichiennes, l’hôpital s’est vidé des hommes valides. Uytterhoven a été abandonné. C’est de la sorte qu’il a été dépouillé de son argent, de sa montre, de ses habits à l’exception de sa chemise. À sa sortie de Moulins, il a été soigné chez la femme Hulot à Namur d’où il s’adresse aux États pour obtenir une compensation aux maux qu’il a soufferts. (155) Revenons-en aux opérations militaires. Après la défaite de Falmagne le 17 septembre 1790 et le renforcement continu des Autrichiens, la partie est perdue pour l’armée belgique. Le repli de la Meuse s’effectue dans la nuit du 24 au 25 novembre 1790, prélude à la fin du soulèvement. Dans le registre paroissial de l’église de Senenne dont dépend Moulins, sous le titre général « ELENCHUS MORTUORUM IN HOSPITALI MILITIAE BELGICAE » ont été enregistrés plus de 70 décès à l’hôpital de Moulins. Il est probable que ces morts ont été inhumés dans le cimetière de l’abbaye. Les malades restants quittent l’hôpital le 18 février 1791. À ce moment Van Ringh fait le relevé des dégâts occasionnés aux biens. il écrit : « À la sortie de l’hôpital de Moulins, cette maison fut dans un état de désolation, outre la plainte formée par différents fermiers sur l’état de destruction de leurs maisons, granges et bâtiments ». Dans le monastère lui-même, Van Ringh relève des détériorations aux boiseries et planchers, des vitres cassées un peu partout, des dégradations aux portes, châssis, serrures. Même le tabernacle et l’orgue ont été endommagés. Enfin a été enlevée une importante quantité de buses en plomb (gouttières), de ferronneries et de bois. (156) Les fermiers de Moulins ont aussi leur cahier de doléances. Les Autrichiens ont pris à Deloge un muid d’avoine, à Léonard de la petite ferme, deux porcs et de la bière, à Béguin, le meunier, 15 écus, à Pirot, domestique, on a enlevé « une veste de peluche rouge, ses ciseaux, brosses et rasoir, 3 chemises, » etc... Enfin les fermiers ont dû prester des corvées sous forme de transports. A la retraite de l’armée belgique, Deloge a fourni un chariot attelé et 10 chevaux pour le transport des bagages et des munitions, d’Anhée à Mons. Il en a été de même pour Léonard. (157) Un espoir de restauration monastique Un autre aspect de la révolution brabançonne a été l’espoir que le départ des Autrichiens a fait naître chez les religieux dispersés, celui d’une réintégration possible dans leur monastère. Le 3 février 1790, une lettre collective signée par l’abbé Bruno Valiez et neuf autres religieux, est adressée aux seigneurs des États de Namur. Elle montre bien que les moines n’ont jamais admis la suppression de 1787 qu’ils considèrent comme un acte arbitraire. En voici le texte. « Les suppliants ayant été supprimés par un décret du pouvoir arbitraire, émané dans le mois de mars en 1787, prennent la respectueuse liberté de s’adresser en recours vers vos seigneuries souveraines contre cet acte attentatoire des droits civils et ecclésiastiques, et à l’appui des lois et de ses illustres défenseurs, dont ils implorent le secours, ils espèrent qu’elles daigneront le casser et annuler, et nous réintégrer dans les biens, droits, places et degrés de notre abbaye de Moulins, les susdits réunis en corps, ne cesseront d’élever leurs mains au ciel pour qu’il continue de répandre ses bénédictions sur vos desseins et entreprises, toujours dirigés par la religion, la justice et le zèle du bien public ». (158) Il semble que les États aient acquiescé à cette demande, car le 26 mars, Bruno Valiez écrit en substance ceci : Les seigneurs ayant décidé de réintégrer les religieux dans leurs droits, ceux-ci demandent que des réparations soient faites au bâtiments de Moulins, que du ravitaillement soit préparé pour la communauté, que du bois soit coupé, que le jardin potager soit cultivé en vue du retour. (159) L’installation d’un hôpital et la tournure des événements allaient rendre caducs tous ces projets. Dom Poncelet non plus ne désespère pas de réintégrer son prieuré de Saint Héribert. Il le demande et obtient satisfaction : le sergent qui garde le bien doit lui remettre la clé en juillet 1790. (160) À partir de ce moment, sa pension est diminuée du revenu du prieuré estimé à 96 florins. A sa rentrée, Dom Poncelet trouve la maison et le domaine en si mauvais état qu’il doit consacrer une partie de sa pension à les restaurer, il fait même des dettes pour remettre les terrains en culture. Sa pension n’étant pas payée régulièrement, il s’adresse aux seigneurs des États. Il écrit : « Le suppliant qui est très âgé, ose espérer de finir sa triste vie dans cette demeure, en se rendant utile au public par la messe qu’il dit les dimanches et fêtes pour l’aisance des maisons voisines du prieuré, très éloignées de leur paroisse. Le versement régulier de la pension se jutifie d’autant plus qu’un piquet de troupe a été cantonné à côté du prieuré et qu’il a dû donner à manger et à boire aux soldats ». (161) Le retour des Autrichiens dans les Pays-Bas ramène leurs partisans au pouvoir. Le 13 octobre 1791, un décret met fin à la mission de Van Ringh. Il doit remettre tous ses dossiers à Clavareau, verser son avoir à la caisse de religion et rendre compte de sa gestion. À Moulins, après l’intermède de la révolution brabançonne, les choses reprennent leur cours normal, sous la direction de Clavareau. En mai 1792, Quérité, exploitant de la papeterie, prend en location les bâtiments de l’abbaye. Il en profite pour supprimer les gages du concierge Ramoisée, en même temps garde des bois, à qui il ne laisse plus pour cet office que l’autorisation de cultiver le jardin de l’abbé ... et le cimetière ! En avril 1792, une étrange proposition est faite aux États. Le baron de Landre, propriétaire de terres à Évrehailles et titulaire de la seigneurie hautaine, propose d’échanger ses biens contre l’abbaye de Moulins. Si l’échange n’est pas possible, le baron demande à acheter Moulins en tout ou en partie. Il ferait du monastère une habitation champêtre plus commode pour lui et plus à portée de la route de Namur à Luxembourg. Clavareau émet un avis favorable mais les choses en restent là. Bientôt une nouvelle tempête va s’abattre sur notre pays. La France ayant déclaré la guerre à l’Autriche, des armées révolutionnaires pénètrent en novembre 1792 dans le comté de Namur. La ville est occupée le 2 décembre. Le peuple souverain de la ville libre de Namur constatant l’absence d’administrateur à Moulins, désigne le notaire Dethy pour s’y rendre et faire rapport sur la situation. Là-bas Dethy ne trouve ni concierge ni sergent. Ramoisée a négligé sa mission puisqu’il n’a pas gardé efficacement les biens de l’abbaye. En effet, un certain Dumont a fait couper des raspes (taillis) et des hautes futaies sans en être empêché. Et Dethy de conclure que tout cela est la faute de Ramoisée. Les représentants du peuple à Namur au vu du rapport, nomment un nouveau sergent et désignent Dethy comme administrateur des biens de l’abbaye. Il s’opposera bientôt aux prétentions des gens d’Anhée qui exigeaient des coupes gratuites dans les bois de Moulins en compensation des pertes subies par le passage des troupes. Dethy refuse la gratuité mais s’entend avec le maire d'Anhée pour vendre quelques coupes de bois. (163) La première occupation française dure peu, le 18 mars 1793 la défaite de Dumouriez à Neerwinden, ramène les Autrichiens. Il va de soi que Dethy est aussitôt démis de ses fonctions et remplacé par Clavareau qui ne laisse pas sans réponse le rapport de Dethy. Le garde Ramoisée n’aurait pu s’opposer seul à une multitude de particuliers des environs venus armés pour commettre des pillages. Ils n’étaient d’ailleurs pas les seuls à piller, les Français maîtres du pays, ne se privaient pas de fourrager et de dévaster campagnes et bois, principalement ceux de S.M. l’empereur et de la caisse de religion. Ils y étaient incités par les paysans qui préféraient détourner les réquisitions vers d’autres biens que les leurs. Tout seul, Ramoisée n’était évidemment pas en mesure de s’opposer aux dévastations. Clavareau termine son rapport en contestant la gestion de Dethy qu’il accuse d’avoir été d’abord un partisan fanatique du régime des patriotes en 1789-1790, puis du parti français au point que son fils s’est engagé dans un régiment de sans-culottes. (164) Le régime autrichien est à peine rétabli dans nos régions qu’une nouvelle surprenante est annoncée. Dans une dépêche de 28 août 1793, le gouvernement des Pays-Bas fait part de son intention de rétablir les couvents supprimés. À cet effet, les États de Namur constituent une commission de 7 membres, 2 ecclésiastiques et 5 laïcs qui rétabliront les couvents qui peuvent l’être, à condition que les religieux désireux d’y rentrer signent un acte de renonciation à tout recours contre le Trésor royal. Ils devront se contenter des biens de leurs maisons tels qu’ils les trouveront actuellement. Avec l’aide des administrateurs Clavareau et de Francquen qui fournissent les documents de travail, la commission va se réunir régulièrement pour étudier les aspects matériels de la réintégration des couvents. Leur souci principal est de faire en sorte que par une bonne gestion des biens, le retour des religieux dispersés soit possible. L’ancien proviseur de Moulins, Dom Bruno Schônauer se présente devant la commission et demande l’autorisation de s’installer à Moulins avec trois confrères afin de veiller à la réparation des bâtiments et à l’administration de la maison. La commission décide alors que le proviseur et Dom Simon pourront se rendre à Moulins en qualité de concierges : ils recueilleront les fruits et les produits du jardin, surveilleront les ouvriers employés aux réparations. (165) Le 1er octobre 1793, un échevin de Namur avec Dom Bruno Valiez, le proviseur, et un religieux viennent constater l’état du couvent de Moulins. Le quartier de l’abbé, le quartier d’hôtes sont en bon état et ne demandent que très peu de réparations, par contre le quartier des moines nécessite beaucoup de travaux. Le mur de l’église est à consolider et les toits sont à refaire. De petites mesures pratiques sont alors arrêtées. Plus personne ne pourra chasser ni pêcher dans la seigneurie de Moulins, toutefois les postes de tenderie concédés au curé de Senenne, au vicaire de Wamant, aux administrateurs et à Quérité sont maintenus. Les fruits récoltés dans les parties louées seront rassemblés dans une chambre du quartier d’hôtes. Le sergent Ramoisée - toujours lui - qui avait planté des « canadas » (pommes de terre) dans le jardin de l’abbé, devra les céder aux religieux moyennant compensation, puisque cette culture représentait son gage de concierge. En fait, toutes les séances de la commission de réintégration sont consacrées aux questions de routine et de simple gestion : renouvellement des baux de cense venant à expiration, coupes à faire dans les bois sur le conseil du garde, examen des devis de réparation aux bâtiments. Le 2 mai 1794, on s’occupe même du crédit pour l’achat d’un uniforme de garde forestier à Ramoisée ! Dans les faits, le couvent n’est pas rétabli, la réintégration reste lettre morte tandis que des événements d’une extrême conséquence se préparent. Les armées françaises de la Révolution s’apprêtent à envahir les Pays-Bas et à mettre un ternie définitif au monde de l’Ancien Régime. (166)
Haut de la page