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L’abbaye cistercienne de Moulins Warnant Partie 3
Les dates révélatrices des malheurs de l’abbaye de Moulins Une des causes de la substitution des moines aux religieuses en 1414 fut l’état de délabrement du monastère. Ce fut l’œuvre des moines de restaurer les bâtiments et de reconstruire l’église pour laquelle Philippe le Bon avait fait don de cent florins. Sous l’abbatiat de Pierre d’Amsterdam, eut lieu, le 17 janvier 1444, la consécration, par le suffragant de Liège, de l’église neuve. Gaillot rapporte que Marie de Ligne, épouse de Charles, baron de Berlaymont et de Hierge, aida à l’édification par ses libéralités. Elle fut d’ailleurs enterrée en 1462 dans l’abbaye de Moulins. Dans les deux siècles qui suivirent le rétablissement de l’abbaye, des maux innombrables s’abbatirent sur elle. Dans le chapitre qu’il consacre à Moulins, Gramaye écrit ceci : « QUE ABBATIA SICUT VULCANO ET MARTI ALIQUOTIES OBJECTA, ANNIS PUTA 1474, AN 1544, AN 1554, AN 1578 ET 1594 CUM PARTIM EXUSTA, PARTIM SPOLIATA ... ». « Cette abbaye, à plusieurs reprises, a été exposée aux fureurs de Vulcain et de Mars, par exemple dans les années 1544, 1554, 1578 et 1594, étant en partie incendiée en partie spoliée ... ». Tous ces millésimes font référence à des événements tragiques. D’après le cartulaire de Dinant, les troupes dinantaises, dans le cadre de leur lutte contre Bouvignes, commirent des dévastations dans le bailliage. « En oultre, nous signifions que vendredi, 4ème jour de ce mois, ont nos gens esté à l’abie de Molin et icelle arse, excepté l’église et aucun autre petit maisonnage, item en chemin ont arsé les villes de Graingne (Grange), Anhée et maison de Senine (Senenne) et avec ce amené en cette ville les bestes desdits lieux » (Volume II p. 141). Ceci se passait sous l’abbatiat de Jean Girelin. Son successeur, Nicolas Neumart releva les ruines. En 1478, les armées de Louis XI vinrent ravager le bailliage de Montaigle et pillèrent l’abbaye de Moulins. Les malheurs ne s’arrêtèrent pas là. L’abbaye eut encore à souffrir du pillage des Français en 1554 lorsque l’armée d’Henri II vint mettre le siège devant Dinant et Bouvignes puis détruisit Montaigle. L’abbé Simon Coulon restaura l’église et le monastère en 1559. Les dernières décennies du XVIe siècle furent très troublées. Guillaume d’Orange ayant refusé la Pacification de Gand de 1576, entraîne les Etats Généraux dans la révolte contre le gouverneur des Pays-Bas, Don Juan d’Autriche. Commence alors une suite de luttes entre les armées espagnoles et celles des Etats Généraux. Notre région est sillonnée par des troupes qui commettent des excès : pillages et incendies. Moulins n’est pas épargné puisque l’année 1578 est citée par Gramaye comme ayant été désastreuse. Le règne de Louis XIV correspond à une période extrêmement troublée pour nos régions qui faisaient toujours partie des Pays-Bas espagnols. Les guerres successives entre la France et l’Espagne vont amener, à plusieurs reprises, l’invasion de l’Entre-Sambre-et-Meuse. Le va-et-vient des armées aussi bien amies qu’ennemies s’accompagne de ravages, de pillages et de réquisitions. Nous en trouvons un écho dans les archives de l’abbaye de Moulins. En 1662, l’abbé Antoine Lewaitte adresse une requête au chef des Finances de l’administration espagnole. Il est éclairant d’en retranscrire un passage qui résume bien les misères du temps. « Remontre très humblement Dom Antoine Lewaitte, abbé du monastère de Moulins ... que pendant les guerres ledit monastère a souffert de grands et fréquents dommages et intérêts par les passées de armées et troupes de soldats, outre qu’il a été plusieurs fois pillé et ruiné par les Lorrains, Irlandais et les ennemis. Dont le remontrant se trouve présentement surchargé de dettes qu’il a dû successivement faire pour subsister parmy les misères de la guerre et rétablir certains bâtiments ruinés de fond en comble par les soldats, d’autres tout délabrés demeurant sans être réparés par un manquement de moyens ». « Etant vrai que ledit monastère est de fort petits revenus consistant seulement en trois petites censes au voisinage d’icelui et le labour (terres labourables) qui se cultive de la Basse-Cour, chargés de plusieurs et notables rentes : entre autres 10 muids de mouture, 39 muids 1 stier d’épeautre, 27 muids et demi-stier d’avoine, 14 chapons et 12 florins 8 deniers de rente dus à la recette de Sa Majesté à Bouvignes, auxquelles le remontrant a tâché de toutes ses forces de satisfaire, nonobstant les maigres dépouilles (récoltes) de grains qu’il a perçues. Mais comme la dernière a été telle qu’après la semence et le paiement des ouvriers, il leur est resté fort peu de choses, tellement qu’il a été obligé de procurer d’ailleurs et à crédit quantité d’épeautre et avoine et autres graines pour la subsistance de son monastère ... » (orthographe modernisée). L’abbé conclut qu’il est dans l’impossibilité de payer 140 florins restant dus et que dès lors il supplie que l’autorité royale regarde avec un œil de pitié, lui-même et ses religieux et qu’il soit exempté du paiement de la somme restante. (79) Cette requête fut saisie d’effet. « Ceux des domaines et finances du Roy considérant les foulles (dégâts) et ruines supportées par le monastère remettent les 160 florins de 1660 et ce qui dû pour 1661. Le successeur de l’abbé Lewaitte, l’abbé Van den Perre (1662-1695) adresse à son tour une requête dans laquelle il récapitule les dommages résultant des grandes foulles par les gens de guerre. En 1649, des Irlandais en furie ont envahi le monastère, emportant tous les grains, le bétail, des meubles et les provisions. Les 22 et 23 juin 1651, le monastère a été de nouveau forcé par 500 soldats qui l’ont pillé et entièrement ruiné. Ils ont profané les saintes hosties et ont infligé aux religieux un traitement inhumain, les mettant au mur, un pistolet sur la poitrine. L’abbé poursuit : « les foulles et dommages ont exténué et appauvri le monastère qui est demeuré aux abois ». En mai 1675, nouvelle requête exposant qu’un corps d’armée français a campé à Anhée pendant le siège de Dinant. Les dragons ont consommé les provisions de bouche, le fourrage et le bois de l’abbaye. Ils ont brûlé les machines servant aux labours, ont pris une chaudière et des meubles. La forêt contiguë a été dévastée par des coupes destinées à fournir du matériel de cantonnement et du bois de chauffage. Les réquisitions ont épuisé les grains compromettant les semailles. Le Maréchal de Créquy a exigé la livraison de 15 vaches et de 30 sacs d’avoine que l’abbaye a dû acheter au prix fort. Enfin les chariots ont dû voiturer du matériel jusqu'à Sedan, les chevaux sont morts en route. Il s’en est suivi que les terres sont restées incultes pendant l’année 1676. Encore une fois, l’abbé affirme être dans l’impossibilité de payer les rentes dues pour 1675 et 1676. (80). Le même abbé Van den Perre s’adresse au Trésorier général pour commenter les événements. Il énumère aussi les dommages subis par l’abbaye. La moisson de 1677 a été mauvaise, ne donnant que la moitié de la récolte ordinaire. Au mois d’août 1678, une armée française commandée par le Maréchal de Schomberg a passé la Meuse et a campé dans la campagne d’Anhée où se trouvent la plupart des terres de l’abbaye. Des escadrons de cavalerie ont traversé les marsages (semis de mars), les chevaux y ont paissé. Fin septembre, l’armée du Duc de Luxembourg a campé près de Moulins avec 800 chevaux. Les Ducs de Villeroy et de Luxembourg, le lieutenant-général La Motte ont pris leurs quartiers dans l’abbaye avec leurs trains d’équipage et leurs gardes. Ils ont ainsi occupé le cloître, les réfectoires, le dortoir, le quartier des malades, toutes les officines et ont même campé dans l’église. Selon leur bon plaisir, ils donnaient à leurs chevaux les fourrages et les grains. Toutes ces exactions se sont faites malgré les plaintes et les remontrances des religieux et au mépris de la sauvegarde donnée par le roi de France. De tous ces dommages : foulles, pertes, dégâts et ruines ainsi que des grandes contributions imposées par les Français, il résulte que l’abbaye a dû contracter des dettes importantes pour la subsistance des religieux et la continuation de l’office divin. Malgré tous les efforts consentis pour payer les rentes à la recette de Bouvignes, il reste 237 florins à payer sur le canon (échéance de paiement) de 1677 et l’entier canon de 1678. L’abbé Van den Perre demande donc l’annulation de ces montants. (81) La guerre de Hollande qui a vu l’invasion de notre pays par les vallées de la Meuse et du Rhin, s’est terminée en 1678 par le traité de Nimègue accordant à la France de nouveaux territoires dans les Pays-Bas espagnols. Louis XIV ne s’en tient pas là et institue les Chambres de réunion composées d’historiens et de juristes chargés d’examiner les raisons historiques permettant à la France d’étendre arbitrairement les concessions territoriales accordées par les traités. L’avancée française se fait dans le sud du comté de Namur : en 1680, elle s’étend dans le sud des bailliages de Bouvignes et de Montaigle. Pour l’été 1681, le bailliage de Bouvignes est complètement occupé. En septembre 1681, c’est au tour de la prévôté de Poilvache. Les Français sont aux portes de Namur en 1686 en contrôlant les deux rives de la Meuse d’Hastière à Namur. En fait, la moitié du comté de Namur que l’on appelle « Pays d’Entre Sambre et Meuse et d’Outremeuse » fait partie intégrante du royaume de France. Les impositions financières sont énormes et la province de Namur est réduite à la pauvreté. L’abbaye de Moulins subira les conséquences de cet état de choses : les nominations d’abbés doivent se faire avec l’approbation du roi de France, les impositions sont alourdies. Le répertoire des papiers de l’abbaye fait état d’une quittance de 1.000 florins payés à la recette des domaines pour la « nouvelle paye des seigneuries des forges à Moulins, Ohey et cense d’Hennemont ». (82) Cette imposition est énorme en comparaison des revenus de l’abbaye. Citons encore une requête de 1741 adressée aux surintendants des finances. L’abbé de Moulins rappelle que l’hiver de l’an 1740 a été rude et que, par après, des pluies continuelles ont compromis la récolte, à raison de la moitié pour le labour de l’abbaye et du tiers pour la cense de Pumode. De plus, le monastère a encore subi des dommages considérables par deux débordements de la Meuse qui sont montés jusqu'à 3 pieds et demi (95 cm) dans la grange de la ferme d’Anhée. Tout cela justifie une modération dans les rentes en grains. (83) Les transformations des bâtiments L’abbaye de Moulins ayant existé pendant plus de cinq siècles, il n’y a rien d’étonnant à ce que sa structure ait subi de multiples et profondes modifications d’autant plus qu’elle a été victime d’incendies et de pillages. Avant de disposer des gravures des albums de Croÿ (1604) et des « Antiquitates » de Gramaye (1608), on ne sait rien de la façon dont se disposaient les bâtiments. Sur des gravures on découvre que l’église occupe le centre du dispositif avec à l’arrière les bâtiments conventuels. Sur la droite, on aperçoit de petits bâtiments formant une cour ce qui donne à penser qu’il s’agissait d’une petite ferme. Sans doute est-ce l’embryon de ce qui allait devenir la célèbre « basse-cour » de Moulins. Aujourd’hui, on peut encore y voir, au-dessus d’une porte, une clé de voûte datée de 1619. En ce temps-là, Mathias Dor (1608-1621) était abbé à Moulins. A-t-il voulu signifier qu’il était l’auteur de la transformation de la ferme en faisant placer une pierre votive dans le pignon. Le texte « PIETAS PRECIOSIOR AURO » (la piété est plus précieuse que l’or) fait-il référence à lui par le truchement d’un jeu de mots à propos de Dor et de l’or ? On peut tout au moins l’imaginer. La gravure de Remacle Le Loup (1740) montre très bien la forme allongée du bâtiment de la ferme. Ses petites fenêtres surmontées de remarquables linteaux triangulaires en pierre, rappellent l’architecture des XIII et XIVe siècles. Sans doute proviennent-ils d’une construction antérieure à celle de 1619. À propos de cette ferme, «Les délices du Païs de Liège» s’expriment ainsi : « On y trouve une des plus vastes basses-cours du Païs dont les bâtiments sont presque tous modernes et construits avec autant de propreté que de solidité ». C’est grâce à cet ouvrage que nous savons que la rénovation presque totale du monastère est l’œuvre de l’abbé Pierre Denis (1733-1747) dont les armoiries figurent sur la gravure de Remacle Le Loup. Le texte dit à son propos : « La piété et la régularité monastique qu’il maintient par son exemple, ne sont pas moins des monuments de son zèle pour son Abaïe, que les somptueux édifices qu’il y a élevés. Il fait voir qu’on peut très bien concilier les soins temporels, avec la pratique des vertus évangéliques et religieuses ». (84) D’après Saumery, auteur des « Délices du Païs de Liège », c’est à l’abbé Pierre Denis que l’abbaye est redevable de son église, du cloître, de la maison abbatiale, en bref de la plupart des embellissements. Le contrat de construction de la nouvelle église a été établi le 23 mai 1735 devant notaire. (85) Ce document de deux pages contient les directives pour l’entrepreneur Martiche de Fosses qui s’est engagé à démolir l’ancienne église et les parties de bâtiments y contigus puis à rétablir ces dernières à la fin des travaux. Les données techniques exprimées en pieds de Namur (29 cm) montrent que l’église devait avoir les dimensions ci-après : longueur totale : 46m, largeur de la grande nef et des nefs latérales : 16m, hauteur de la voûte de la nef principale : 14m50, des voûtes des nefs latérales : 8m70. Dans l’église, il y aura 12 piliers. Elle sera construite en pierres jusqu’aux premières fenêtres et ensuite en briques. Le reste du contrat, sorte de cahier des charges, apporte des précisions sur les matériaux : les pierres de taille des portes, fenêtres, piliers et les pierres de construction sont à charge de l’entrepreneur tandis que le charriage depuis le rivage de la Roche à Moulins sur la Meuse jusqu'à l’abbaye est à charge de celle-ci. Les bois de charpente, les ardoises du toit, la chaux, le sable, les vitres et les fers seront fournis par l’abbaye. La nef principale et les nefs latérales formeront entre elles une « croisade » que surmontera un clocher pour atteindre la hauteur de l’ancienne église. Le contrat, accompagné d’un plan qui ne figure hélas plus dans les archives de Namur, était signé par dix religieux présents dans la communauté.On se fera une idée précise du sanctuaire de Moulins en examinant la gravure de Remacle Le Loup et en lisant la description qui l’accompagne. Dans celle-ci, reprise presque mot à mot par l’historien Galliot, relevons quelques détails. L’église est claire et riante, un croison sépare le choeur du sanctuaire. La voûte de la nef est supportée par dix piliers d’ordre toscan dont les bases et les chapiteaux sont de marbre. Les lambris et les stalles du choeur sont d’une belle menuiserie. Une grande grille sépare le choeur du sanctuaire. Le clocher se termine en un dôme surmonté d’une lanterne de très bon goût. A côté de l’église est un cloître carré, bien voûté et percé de chaque côté de onze fenêtres cintrées. En 1734, le monastère a passé une convention avec Sébastien La Chapelle pour la construction de l’orgue. Toutes les spécifications techniques y sont reprises. (86) La charge financière résultant de la construction de l’église, de la maison abbatiale et de la rénovation des bâtiments est lourde. Pour y faire face, l’abbaye devra contracter des emprunts et céder en 1742 à Joseph et Gérard de Montpellier, les terrains de la Roche à Moulins en vue d’y construire une forge et une fenderie. La vente est faite en engagère, mais les religieux n’auront plus jamais l’occasion de reprendre leur terrain. Les impositions et les revenus Ainsi que l’indique Brouwers dans son ouvrage « Les aides dans le comté de Namur au XVe siècle », sous le gouvernement de ses comtes particuliers, le pays de Namur ne connut pas l’impôt public et général. Les impôts généraux n’apparaissent que sous les ducs de Bourgogne et portent le nom d’aides. Ils sont rendus nécessaires pour couvrir les frais des campagnes militaires et l’organisation d’une administration plus complète. La première aide est levée en 1444, s’élève à 5.000 ridders d’or et comporte une quote-part à charge des gens d’église. C’est ainsi que l’abbaye de Moulins est taxée à 20 ridders tandis que les abbayes de Floreffe et de Brogne (Saint Gérard), plus richement dotées en paient respectivement 120 et 61. La taxation de l’aide de 1474 est basée sur des revenus en muids de grains. Pour Moulins, ils sont évalués à 100 muids ce qui lui coûte 8 livres 6 sols 8 deniers. En 1533, l’administration du comté procède au dénombrement des abbayes, collégiales, cures et bénéfices. Moulins y figure avec une rente estimée à 217 muids d’épeautre valant 173 livres 12 sols. C’est ainsi que pour l’année 1545, l’abbaye doit acquitter une imposition de 14 livres 6 sols 10 deniers. Les aides étaient déterminées par des assemblées composées de nobles, d’ecclésiastiques et de représentant du tiers état. Pour établir l’aide des 6.000 livres décidée en 1545, l’abbé de Moulins a dû se rendre à Bruxelles, c’est pourquoi compte tenu « des grandes dépenses qu’il a soutenues » pour remplir sa mission de député, il lui est octroyé 10 livres. Dans la suite, l’abbé a dû se rendre à Anvers pendant 16 jours, ce qui lui a valu 40 livres d’indemnité. En 1552, des subsides sont exigés des nobles, des gens d’église et des bourgeois, sous forme de prêt à l’empereur. Cette fois, Moulins est mis à contribution pour 200 livres. C’est en 1601, que s’établit le terrier du comté de Namur, sorte d’évaluation des biens à prendre en considération pour fixer l’assiette de l’impôt. À Anhée, la liste des propriétaires fonciers est fixée. En ce qui concerne l’abbaye de Moulins qui possédait cependant plus de cent bonniers dans la campagne d’Anhée, on lit : « Le surplus du labeur et terres sont appartenant à l’abbaye de Mollin : exempt pour être labeur». Voici une bien étrange exemption d’impôt auquel le petit propriétaire n’échappe pas ! Pour Salet, le terrier recense : « La maison et cense de l’abbaye de Mollin contenant 30 bonniers à la roye : ici trois charrues. En trieux pour être mauvaises et stériles : une demi-charrue. En jardin et prêts environ, 12 charrées ». (87) Ceci appelle quelques commentaires. « À la roye » fait référence à la culture selon l’assolement triennal : un tiers des terres est destiné aux semis d’hiver, un tiers aux marsages (semis de mars), le tiers restant à la jachère où l’on peut semer du trèfle. La charrue est une mesure agraire valant 30 bonniers. Le rendement d’une terre non labourée est estimé d’après le nombre de charrées (charretées) de foin qu’elle peut produire. Le terrier poursuit le recensement des propriétés de Moulins. « La maison et cense de Heneumont appartenant à l’abbaye : en terres labourables 13 à 14 bonniers à la roye soit une charrue et demie (42 à 45 bonniers). Jardins et prêts pour environ 6 charrées ». Le molin des Prêts appartenant à l’abbaye avec 3 journaux (trois quarts de bonnier). « Le prélat et religieux de Mollin ont sous la hauteur (bailliage) de Montaigle qu’ils labourent de leur maison par serviteurs, pour environ 2 charrues de bon labeur (60 bonniers). En prairies, les foins desquelles rentrent à l’abbaye, environ 60 charrées ». « En bois, roches et maulvais pays, devant l’abbaye et sous Heneumont, appelé Bossière, 30 à 40 bonniers ». Les impôts dus par l’abbaye de Moulins ne consistaient pas seulement dans les impositions générales appelées « la taille » mais surtout dans une multitude de cens et rentes seigneuriaux et fonciers. La récapitulation de toutes les charges pesant sur l’abbaye a été faite en 1785 par l’administrateur civil de Francquen. (88) Il serait trop long de les citer, dès lors n’en retenons que quelques-unes à titre d’exemple. L’abbaye payait annuellement une taille sur la généralité de ses biens 517     florins 41 muids d’épeautre au domaine à Bouvignes 220 florins 29 muids d’avoine au même 153 florins 14 muids de mouture sur la généralité de ses biens 173 florins 7 muids d’épeautre à l’abbaye de Floreffe   39 florins 10 muids d’épeautre au chapitre de Dinant   53 florins La taille s’appliquait aussi aux fermes mais comme elles étaient louées à bail, les impositions étaient à charge des fermiers. La grande ferme de Moulins qui avait ses terres sur deux bailliages payait 46 florins à le recette de Montaigle et 96 à celle de Bouvignes. La taille d’Heneumont était de 71 florins, celle d’Ohet de 49, celle d’Anhée de 36, celle de Bioulx de 23 florins. Mais les impositions qui pesaient sur les fermes ne s’arrêtaient pas là. Prenons un seul exemple : la ferme d’Ohet en plus de la taille, devait 1 setier d’épeautre et 2 muids 3 setiers d’avoine à la recette de Bouvignes, 4 muids d’épeautre à l’hôpital de Bouvignes, 1 muid 7 setiers d’épeautre au curé de Senenne. Une autre charge financière pour Moulins consistait dans les reliefs de fiefs à chaque changement d’abbé. Pour le relief de la seigneurie hautaine de Moulins devant le Souverain Bailliage à Namur, on payait 31 florins 12 sols 3 deniers. Devant la cour féodale de Poilvache avait lieu le relief du fief de Solonne lequel ne consistait qu’en 30 muids d’épeautre et 26 d’avoine, on payait pour cela 21 florins 10 sols. Devant la cour féodale de Spontin, on relevait le fief de 4 muids d’épeautre à prendre sur le bien féodal de Duriau à Durnal, on payait 31 florins 16 sols. Devant la cour féodale de Montaigle se tenait le relief de quatre fiefs englobés dans les terres de culture des fermiers de Moulins. C’était : le fief de la Tour à Moulins le grand fief de Pont le fief gisant à Wamant le fief dénommé le petit fief de Salet. Tout cela valait 39 florins 13 sols 8 deniers. Enfin à la cour féodale de S. A. Sérénissime le Prince de Liège, on faisait le relief de 3 muids d’épeautre prélevés sur 3 terrains de la Principauté. Cela coûtait 9 florins. (89) Parmi les revenus propres à l’abbaye, la mise en location des fermes occupe une place prépondérante. Au cours du XVIIe siècle, toutes sont louées par bail à l’exception de la petite ferme de Moulins réservée à la subsistance du monastère. Plusieurs baux passés devant notaire sont conservés dans les archives de l’Etat à Namur. Celui de la grande cense de Moulins est passé en 1774 entre les religieux et le fermier André François Godin. D’une durée de 9 ans, il porte sur tous les bâtiments de la basse-cour, 153 bonniers de terres labourables et 16 de prairies. Il y est stipulé que les semis d’hiver, les blancs grains, se feront sur une étendue double de celle des marsages. Le fermier devra posséder des chevaux et bœufs en nombre suffisant pour cultiver correctement les terres qui seront engraissées avec toutes les pailles et les fourrages produits par l’exploitation, sans jamais en vendre. Le fermier paiera les tailles, les aides, les subsides et fera les corvées imposées par l’autorité civile ou militaire, tels les charruages, les pionnages (terrassements), la fourniture de chevaux de remonte ou de rations. Le fermier devra encore prester au profit de l’abbaye, 8 journées de corvées avec 2 chariots attelés. Il entretiendra les fossés proches de la ferme, aura la jouissance des têtes de saules, des bois, des haies et des chinons (petit taillis) poussant sur ses terrains. Pour la réparation des haies, il pourra prendre des « épines » dans les bois de l’abbaye. La location du bien est fixée à 153 pistoles pour les terres labourables et à 240 florins pour les prairies à quoi s’ajoutent 100 pistoles pour le vin de bail. Le repreneur garantit sur sa personne et ses biens, l’exécution correcte du bail. L’acte se termine par l’énoncé des terres et prairies de la ferme, la majorité d’entre elles se trouvent sur le territoire d’Anhée, les plus importantes étant les terres sous Senenne, la terre du bout des campagnes, la terre vis-à-vis de la Saulx, la couture Saint Elubert. Un autre type de bail est celui de la cense d’Ohet passé en 1776 entre les religieux et Jean Dessy, meunier à l’abbaye. Il diffère du précédent en ce sens qu’il ne prévoit pas le paiement d’une location, mais que les récoltes seront partagées soit sur les champs, soit dans la grange. Les semences seront livrées à égalité par les deux parties, de même que le paiement des ouvriers. Evidemment les tailles, aides, subsides, corvées sont toujours à charge du fermier. Au profit des religieux, il devra fournir six corvées par an, transporter les matériaux nécessaires à la réfection de la cense et livrer des « WAUX » (paille) pour l’entretien des toits. Les religieux se réservent le produit de la grande houblonnière, des terres au Varroy et à la Creute. L’influence des abbés de Moulins dans la vie publique, leur importance sociale Sous l’ancien régime, les États du Pays de Namur sont formés de trois ordres = le clergé, la noblesse et le tiers état. Le clergé lui-même est divisé en deux degrés. Le primaire est composé de l’évêque de Namur en sa qualité d’Abbé de Brogne, des abbés des principales abbayes du comté : Floreffe, Waulsort, Grandpré, Moulins, Boneffe, le Jardinet, Géronsart, ainsi que des prévôts des églises collégiales de Sclayn et de Walcourt. Le degré secondaire est constitué de l’évêque en tant que tel, du doyen de l’église cathédrale, de l’archidiacre de Namur et du doyen de l’église Notre-Dame. Le deuxième ordre est celui de la noblesse. Pour y être admis, il faut être noble depuis six générations, posséder un fief avec haute justice et des fonds de terre équivalents à quatre charrues soit 120 bonniers. Outre les nobles, en font également partie : le mayeur de Namur, les baillis de Fleurus, Wasseiges, Bouvignes, Montaigle, le mayeur de Feix, le capitaine de Samson, le bailli d’Outre-Meuse et d’Arche, le prévôt de Poilvache, tous étant considérés comme les représentants des gens vivant dans leur bailliage, prévôté ou capitainerie.
Le troisième ordre est celui du tiers état composé des représentants des 25 corps de métiers de Namur, capitale du comté. Cet aperçu était nécessaire pour mettre en évidence la place éminente qu’occupait l’abbé de Moulins dans l’organe de décision du Comté. L’abbé de Moulins a porté aussi un autre titre. Le 28 avril 1496, le duc de Bourgogne lui accorde la fonction de Chapelain du château de Poilvache moyennant l’obligation d’y célébrer trois messes par semaine. A ce titre, sont attachés des avantages, en l’occurrence un cens de 8 florins 6 sols 18 deniers à payer au monastère par le domaine royal. (90) En 1741, ce cens existe toujours puisque son paiement est rappelé par le conseiller des finances. Lorsque la forteresse de Poilvache fut définitivement détruite, l’obligation d’y célébrer les messes fut transportée dans la chapelle d’Anhée dont nous reparlerons ultérieurement. Le titre le plus insigne de l’abbé de Moulins était sans conteste celui de seigneur de Moulins qu’il possédait depuis 1648 et qui lui conférait le droit de haute, moyenne et basse justice dans la seigneurie. Il disposait pour cela d’un mayeur, d’échevins et d’un sergent. Ce dernier avait pour mission de veiller à la sauvegarde des biens de l’abbaye dans les juridictions de Moulins et d’Anhée. Les moines se sont toujours montrés fort sourcilleux en ce qui concernait leurs biens. La preuve en est les nombreux procès qu’ils ont intentés pour protéger leurs intérêts que ce soit à l’encontre d’abbayes, de seigneurs ou de manants. Le plus souvent, il s’agissait de récupérer des paiements en retard, de déterminer des limites de pâturages, de poursuivre des manants qui se sont introduits dans les bois de l’abbaye pour y ramasser des branches mortes ou des glands. Relevons quelques exemples de procès intentés à l’égard de contrevenants. 1538 : Les manants de Hornen (Warnant) et Vaulx ont foulé avec leur bétail les taillis et bois de l’abbaye. 1541 : Les mêmes ont foulé des pâturages. 1547 : Les manants de Haux (Haut-le-Wastia) ont fait des incursions dans les bois du monastère. 1623 : Des manants d’Anhée ont pris du bois mort, le jour du grand feu. 1634 : Le censier de Corbais faisait paître des bêtes malades sur les pâtures de Heneumont, cense de l’abbaye. 1722 : Des manants d’Anhée ont été surpris dans les bois de Moulins en train de ramasser furtivement des branches. Il existe un brouillon de lettre de 1723 par laquelle l’abbé Damanet se plaint des manants d’Anhée à propos du ramassage de glands et de bois. Il écrit : « Je dois vous dire avec vérité, Monsieur, que c’est un village qui nous fait bien du tort particulièrement dans nos bois. Quand nous aurions dix sergents pour y veiller jour et nuit, ils n’empêcheraient point que les femmes et les enfants de ce village n’en emporteraient plus de la valeur de cinquante cordes (200 stères) par an, en diverses espèces de bois et peut-être plus encore. Ils ont tellement ruiné leur commune par les sarts qu’ils ont faits pour eux, qu’il ne s’y trouve plus de bois du tout, jusque là même que je ne crois point qu’ils pourraient ramasser dans toute leur commune pour en chauffer un four, tellement que n’ayant plus du tout de bois, il faut qu’ils aient recours au nôtre, à la dérobée ». L’abbé poursuit : « Le curé et le vicaire de Senenne ont beau prêcher et admonester leurs ouailles, cela ne sert à rien ». L’abbé Damanet, au demeurant natif d’Anhée, ne prenait pas en considération que l’abbaye possédait 300 bonniers de bois alors que les manants d’Anhée n’avaient que des sarts qu’ils étendaient toujours plus pour assurer leur subsistance. (91) La série des procès continue. 1725. L’abbé de Moulins demande à la haute cour de Bouvignes de faire une visitation dans son petit bois d’Anhée « à raison de la foulle y faite par Philippe Blaimont censier à Anhée ». Comprenons par là que son bétail a pâturé dans le bois. 1727. Guillaume Hontoir est attrait devant la haute cour de Bouvignes parce que ses filles ont été chercher des faix (fagots) de bois dans les forêts de l’abbaye. La même année, une action est intentée contre François Dankart pour avoir coupé du bois « sans droit et tombé en récidive pour la troisième fois ». (92) En 1765, ayant eu connaissance des projets de la communauté d’Anhée à propos du herdal (pâturage communal), l’abbé leur fait parvenir cette lettre écrite par son proviseur. « Le révérend abbé de Moulins ayant appris que la communauté d’Anhée voulait faire partage d’un herdal communément nommé le herdal de basse-uver (à Anhée le long de la Meuse) pour faire garder et recueillir foin, contre la nature et première institution dudit terrain et au préjudice des terres aboutissantes, ayant été de tout temps servant de herdal et pâturage des bêtes, ledit seigneur abbé et à son nom et expresse commission, le soussigné fait savoir à ladite communauté qu’il ne consent pas à un tel partage et proteste par cette lettre contre toute disposition à ce sujet, voulant que la présente protestation soit licite et intimée auxdits manants par son fermier le représentant et le sergent dudit Anhée ». (93) C’est dans l’exercice de sa fonction de police que le 7 mai 1768, Maximilien Coupienne sergent de Moulins fait rapport au sujet d’un passage vers un pré de l’abbaye, passage bouché intentionnellement par deux fois avec des épines. À coup sûr, il s’agissait d’un acte de malveillance à l’égard de l’abbaye dont l’abondance des terres à Anhée devait faire envie à des manants qui n’avaient que de petits sarts à cultiver. (94) Sur le plan religieux aussi, l’abbé de Moulins était jaloux de ses prérogatives et ne voulait rien en céder. Une contestation surgit entre lui et le curé de Senenne à propos de l’administration des sacrements aux personnes qui habitaient l’enceinte du monastère. En 1778, la fille du fermier de Moulins et Marie-Jeanne Léonard, servante au refuge de Namur, étant sur le point de se marier, le curé de Senenne, les considérant comme ses paroissiennes, leur « a relâché des lettres de liberté » c’est-à-dire une dispense de bans. L’abbé de Moulins estime au contraire que l’octroi de cette autorisation est de sa compétence, que dès lors le curé de Senenne a porté atteinte à ses droits et lui a causé un préjudice. Un accord direct avec le curé n’ayant pu être trouvé, l’abbé adresse une plainte au Conseil provincial de Namur en lui soumettant le litige. La lettre se termine ainsi. « A ces causes, ils (l’abbé et les religieux) se retirent vers vos seigneuries les suppliant de déclarer que c’est abusivement et sans titre que ledit curé de Senenne a relâché les prédites lettres de liberté et d’un contexte que tel droit appartient aux remontrants et de condamner ledit curé aux dépens ». (95) La maison de campagne, la chasse Aujourd’hui encore si l’on observe la ferme de Salet bâtie en moellons de pierres calcaires, on remarque, orientée vers le Sud, une partie faite de briques. Les fenêtres sont entourées de parements en pierres de taille ce qui donne à l’ensemble un aspect élégant et recherché. Ce corps de bâtiment est ce qu’on appelle la maison de campagne de l’abbé. Il venait y faire des séjours de détente ou y chercher la fraîcheur aux jours chauds de l’été. D’autre part, les abbés de Moulins qui tenaient leur fief de Salet depuis les origines du monastère, se prétendaient seigneurs des lieux. Il se justifiait donc qu’ils aient là-bas une demeure digne de leur rang . Grâce à l’état des biens établi en 1785, nous savons de quoi se composait la maison de campagne et quel en était le mobilier. Au rez-de-chaussée, un vestibule, où se trouvait un petit autel, menait à une chambre et à une cuisine. À l’étage, il y avait quatre pièces dont la chambre de l’abbé meublée sans aucun luxe. L’inventaire fait état de tableaux de Teniers mais il ne pouvait s’agir que de copies puisqu’à la vente du mobilier de Moulins le 23 juin 1788, on constate que des tableaux ont été acquis par le chanoine Dautrebande : il en a obtenu 7 pour 7 florins 23 sols ! (96) Le droit de chasse dans les domaines de l’abbaye a toujours été exercé par les abbés et religieux de Moulins et ils l’ont constamment revendiqué avec fermeté. Une preuve en est donnée dans trois déclarations de 1734. L’une, signée par l’abbé Pierre Denis déclare : « Nous soussigné, abbé du monastère de Moulins, certifions et attestons en faveur de justice et de vérité que dans toutes les seigneuries foncières et tréfoncières que nous possédons en la province de Namur, nous avons toujours exercé et fait exercer le droit de chasse sur toute l’étendue de nos juridictions foncières, notamment à Salet, en qualité de seigneurs tréfonciers où je sais très bien que feu le révérend abbé Damanet, mon prédécesseur et plusieurs de nos religieux ont toujours chassé ainsi que nous faisons encore au vu et au su d’un chacun, armés de fusils et meute de chiens nonobstant que la seigneurie hautaine dudit Salet appartient à Sa Majesté et que la chasse a esté plusieurs fois remise à ferme à des particuliers et notamment passé 2 à 5 ans au Sieur Gendebien, maître de forges à Yvoir, au vu et su duquel nos religieux et chasseurs chassaient aussi sur toute l’étendue de la juridiction dudit Salet ». (97) En 1730, un incident s’était produit à propos de la chasse à Salet louée par les Domaines à Gendebien d’Yvoir. Son garde-chasse avait cru bon d’empêcher les religieux de chasser sur leurs propres terres ce qui avait valu au Sieur Gendebien une protestation de l’abbé. Le 9 février 1730, Gendebien écrit que c’est à tort que son garde-chasse a agi. Il reconnaît que les abbés, étant seigneurs tréfonciers depuis un temps immémorial, possèdent un titre absolu à chasser sur leurs terres. La lettre se termine ainsi : « Monsieur, soyez persuadé que je serai toujours le dernier à vous faire la moindre peine et pour preuve je ne différerai point à lui (le garde-chasse), donner des ordres précis là-dessus ». Dans une autre déclaration, le châtelain et bailli de Montaigle reconnaît qu’il n’a jamais voulu chasser sur les terres de l’abbaye. (98) Une fois de plus, on doit constater que les religieux de Moulins entendaient faire respecter leurs droits et n’en cédaient rien. Un sergent veillait sur leurs propriétés et ne se privait pas de verbaliser. Pour leurs bois, ils avaient un garde-chasse qu’ils se contentaient de rétribuer en lui donnant le logement et le couvert à l’abbaye. La gestion du prieuré de Saint Héribert Dans un chapitre précédent, nous avons examiné l’origine de l’ermitage de la forêt de Marlagne. En 1225, le comte de Namur accorde une rente en grains à une chapelle qui existait en ce lieu, au moins depuis le début du XIIIe siècle. Cette chapelle est donnée en 1237 à l’abbaye de Moulins qui, à partir de 1414, y envoie un religieux à demeure. Il en sera ainsi jusqu'à la suppression de l’abbaye à la fin du XVIIIe siècle. Le bien se présente sous la forme d’une petite exploitation agricole comprenant un prieuré, une chapelle et un enclos d’environ 7 bonniers répartis en jardin, prairie et verger. Une pierre tombale conservée dans le narthex de l’église de Bois-de-Villers et provenant du prieuré, porte à croire qu’une école y a existé. L’épitaphe, en latin, peut se traduire ainsi : « Enseveli sous cette pierre, gît le noble jeune homme Jean de Clochier, autrefois élève en ce lieu qui mourut au mois d’octobre de l’an du Seigneur 1558 ». Il est donc à supposer que plusieurs religieux de Moulins, au XVIe siècle, résidaient dans le prieuré. Depuis 1656, l’ermitage jouissait d’une sauvegarde royale. « Par la présente, nous avons pris et mis, prenons et mettons sous la protection et sauvegarde de sa Majesté et la nôtre, la chapelle de Saint Héribert ensemble le Prieur d’icelle et maisons en dépendantes avec les inhabitans, leurs biens, meubles, jardin, grains et autres choses quelconques que nous voulons être exemptés de toutes foules et dégâts ». (99) Cette sauvegarde ne fut pas d’un grand secours lorsqu’en 1695, Louis XIV vint assiéger Namur. Une supplique de 1697 adressée au trésorier général des finances du Roy révèle dans quel état misérable se trouve le prieuré : « la chapelle est totalement ruinée et détruite par les deux sièges de Namur, il ne reste plus que quelques masures et débris des murailles. De la sorte, il n’est plus possible que le desservant puisse dire les messes fondées par le Comte de Namur». Le prieur demande donc à pouvoir disposer de 12 chênes de 20 florins pièce à désigner par les officiers de la forêt de Marlagne, ainsi pourront se rétablir les lieux. Cette requête fut approuvée en 1698. (100) On connaît le nom du dernier prieur de l’ermitage, le frère A. Poncelet, religieux de Moulins. De quels revenus disposait-il ? Il percevait d’abord quelques rentes : Dix muids de mouture accordés depuis la fondation de la chapelle, à prélever sur le moulin de Floreffe. Cinq muids d’épeautre fournis sur le surplus de la dîme de Senenne attribuée au chapitre des chanoines de Huy. Un muid d’épeautre fourni par un terrain d’Arbre. Une rente de 4 florins hypothéqués sur un pré à Bois-de-Villers. Enfin quelques rentes annuelles pour des messes d‘anniversaire. (101) Les comptes tenus par le frère Poncelet nous éclairent sur la façon dont s’organisait la vie au prieuré. Les recettes d’abord : l’exploitation agricole générait des revenus provenant de la vente de beurre et de veaux. Ainsi, en septembre 1785, on a vendu 70 livres de beurre et 2 veaux. Les achats faits à l’extérieur consistent surtout en viande de bœuf, bière, vin, terre de houille, œufs, café, huile de colza, boutons, soie à coudre et même du tabac. Le frère Poncelet a acheté à Noël Didion, locataire de la maison de la Roche à Moulins, trois carottes de tabac moulu, pour trois florins. Parmi les dépenses, on relève encore des journées payées à la servante ou à des journaliers pour bêcher, labourer, faucher le seigle, faner le regain, fouler la terre à houille pour en faire des boulets, fabriquer des fagots, ramasser de la litière pour les vaches, planter des « canadas » (pommes de terre). Enfin, on a acheté au maréchal-ferrant de Lesve, de la drogue (médicaments) pour les vaches. (102) En décembre 1787, le frère Poncelet est encore prieur à Saint Héribert, mais la fermeture de l’abbaye de Moulins l’oblige aussi à s’en aller, bien en regret. À plusieurs reprises, dans son errance, il demande à réintégrer le prieuré comme gestionnaire, mais il n’obtient gain de cause qu’en 1790. Après sa réintégration, il rend compte de sa gestion à l’administrateur de Moulins en tenant un petit registre intitulé « État des fraix faits par Fr. A. Poncelet, religieux de Moulins et Prieur de Saint Héribert pour la récolte des fruits, mélioration du bien, réparation de la maison et chapelle depuis le 19 mars 1790 jusqu’au 20 janvier 1791 ». Grâce à ce document, on constate une fois de plus que le prieuré était géré comme une petite exploitation agricole. Une servante Thérèse Rigaux a été employée pendant 7 journées pour répandre les taupinières du pré. Elle a en outre, bêché le jardin, semé et planté. Pour cela on a acheté 100 choux rouges et raves, une livre de semences de betteraves, 4 boisseaux de pois, le tout pour 1 florin 8 sols. On s’est procuré un cheval de fermier pour 2 florins 2 sols. Deux autres servantes ont été rétribuées pour tailler et buter les houblons. La terre de culture a nécessité le travail d’un homme qui a labouré, hersé et ensemencé avec du trèfle, qui a fauché l’herbe. Enfin des femmes ont été employées à faner le foin, des hommes à faire des « moïes » (meules) et à les engranger. (103) Survol de l’obituaire L‘obituaire de l’abbaye de Moulins est conservé aux Archives de l’État à Namur sous la forme d’un petit in-folio de 31 feuillets. Il contient un millier de noms pour lesquels un obit était fondé, c’est-à-dire un service religieux célébré pour l’âme du défunt, en principe au jour anniversaire de son décès. Les inscriptions les plus anciennes datent du XVIe siècle, elles ne vont pas au-delà de 1748. Ces inscriptions, réparties sur tous les jours de l’année, sont rédigées en latin, en un style extrêmement bref du genre de ceci : Au 2 janvier « OBITUS VENERABILIS VIRI DOMINI MATHIE DOR DECIMI OCTAVI ABBAT1S MOLINIENSIS - 1621 » (Obit du vénérable Mathias Dor dix-huitième abbé de Moulins) ou encore au 10 janvier « ITEM OBIIT NONNUS BERNARDUS DE WESPIN CONFRATER NOSTER - 1685 » (Obit du moine Bernard de Wespin, notre confrère). L’obituaire de Moulins a été publiée par le chanoine Barbier à Louvain, en 1908. Chaque fois que possible, l’énoncé de l’obit est accompagné de commentaires qui en font le véritable intérêt. On y fait mention des abbés, des confesseurs ou directeurs de monastères de religieuses, des frères convers, des bienfaiteurs de l’abbaye, de personnes proches des moines, comme par exemple leurs parents. Il nous a paru intéressant de reprendre quelques noms de ces diverses catégories de personnes, lorsque des commentaires particuliers peuvent être faits. Les abbés de Moulins figurent pour la plupart à l’obituaire sauf le premier Jean de Gesves et quelques autres, peu nombreux qui ne sont pas décédés à Moulins. Il est à remarquer que la numérotation de ces abbés varie suivant qu’elle tient compte des abbesses ou bien débute à Jean de Gesves. Jean Ghiselin ou Ghislin devint le cinquième abbé vers 1460. Il eut la douleur de voir les Dinantais incendier le monastère le 3 octobre 1465. Il mourut en 1473. Nicolas Neumart, son successeur, releva Moulins de ses ruines. En 1490, sur ordre de l’abbé de Cîteaux, il visita les religieuses de Val Benoît. Ayant trouvé leur monastère dans un état déplorable sur le plan matériel, il autorisa les religieuses à aliéner quelques biens, à condition qu’elles puissent les récupérer dès que ce serait possible. Pierre de Flandre, onzième abbé, élu en 1534, fut d’abord père-confesseur à Solières. Sous sa prélature, l’abbaye de Moulins fut dévastée par les Français en 1554. Il fit relever l’église et achever plusieurs bâtiments. À son propos, l’obituaire écrit : « ... in RAMEA QUIESCIT UBI SE PROPTER GUERRAS, CONTULERAT ». Il fut inhumé en 1556 à La Ramée où il s’était réfugié à cause des guerres. Simon Collon ou Coulon, douzième abbé. À son propos, on lit dans l’obituaire : « STRENUE ET CUM FERVORE TAM SPIRITUALIA QUAM TEMPORALIA SUO TEMPORE REXIT ». En son temps, il gouverna avec courage et zèle tant les choses spirituelles que temporelles. Ceci fait allusion au fait qu’il restaura l’église « réconciliée » le 19 octobre 1559, et le monastère bénit le lendemain. Jacques de Glymes, seizième abbé en 1572. Pendant 21 ans, il présida aux destinées du monastère d’une façon digne d’éloge. Il accorda des lettres de confraternité à l’abbaye de Brogne (Saint Gérard). En 1591, il releva le fief de Salonne à Pumode, ce fief ayant été saisi par l’abbaye pour défaut de paiement d’une rente. Pierre Royer, dix-septième abbé en 1594. Sous son abbatiat, Gramaye vint visiter le monastère pour en décrire l’histoire. Il écrit à propos de cet abbé : « Il est connu à Liège par sa famille, chez ses religieux par sa piété, chez tous par sa sagesse. Grâce à son appui, par son sens de l’humanité et par le privilège qu’il m’accorda, j’ai pu recueillir dans les archives de l’abbaye une somme de renseignements ». Mathias Dor, dix-huitième abbé en 1608. Auparavant, il avait été prieur de Moulins et confesseur au Val-Benoît (Ougrée). Selon le Gallia Christiana, il rénova plusieurs bâtiments du monastère. Ce fut le cas pour la grande ferme de Moulins dont une clé de voûte est datée de 1619. L’obituaire cite les obits de 4 sœurs de cet abbé. Antoine Lewaitte, vingt-et-unième abbé en 1650. Son élection par le gouvernement suscita une opposition de la part des religieux qui lui préféraient un des leurs, Pierre de Loyer, alors qu’Antoine Lewaitte était issu de Cambron. En 1662, il fut élu abbé de Cambron où il mourut. Une des rares pierres votives conservées à Moulins a été gravée sous son abbatiat. Jacques Maucourt, vingt-quatrième abbé en 1695. Il était prieur lorsqu’il reçut de Versailles, sa patente d’abbé de Moulins. Sa famille qui remontait à Jean Maucour(t), bourgmestre de Dinant vers 1630, a donné huit de ses enfants à l’ordre de Cîteaux. Dom Jacques Maucour était fils de Jean Maucour et de Jeanne Cassai. Deux de ses sœurs furent moniales à Solières et à Marche-les-Dames. Son frère Jean, seigneur de Houx-sous-Poilvache, épousa Marie-Anne Blocqz. Leur fille fut abbesse de Marche-les-Dames, leur fils Bernard fut moine à Moulins et confesseur à Val-Benoît. (104) Jacques Maucourt mourut en 1703 au refuge de l’abbaye, Rempart Ad Aquam à Namur. Sept membres de la fille Maucourt sont cités dans l’obituaire. Maximilien Damanet, natif d’Anhée, fut baptisé à l’église de Senenne le 17 août 1664. Dans un chapitre précédent, nous avons vu qu’étant entré comme novice à l’abbaye de Moulins, il testa en sa faveur, lui léguant une maison dite du grand jardin à Anhée. L’abbé Damanet était très strict en ce qui concernait l’intégrité des droits et des biens de son monastère. La preuve en est les procès faits aux gens d’Anhée à propos des « foulles » ou du ramassage de branches dans les bois de l’abbaye. Il nourrissait des ambitions pour son monastère allant jusqu'à offrir, en 1718, vingt mille florins pour obtenir, en engagère, les seigneuries de Warnant, Salet et Haut-le-Wastia, qui étaient également convoitées par Madame de Cassai. Le procureur général avait émis un avis défavorable à propos de la vente de ces seigneuries. Galliot rapporte que l’abbé Damanet était érudit et jouissait à ce titre de la considération de l’évêque de Namur qui en fit son juge-délégué à la cour de Rome. L’abbé donna, en 1704, des lettres de confraternité à l’abbaye de Leffe. Après 30 années d’abbatiat, il mourut en 1733. Pierre Denis fut en 1733, le vingt-cinquième abbé après avoir été proviseur puis confesseur à l’abbaye des moniales de Val-Notre-Dame (Antheit). Sa devise « FRUCTIBUS NOSCE ARBOREM » (connais l’arbre à ses fruits) semble bien lui convenir puisqu’on lui doit la profonde rénovation des bâtiments du monastère et la construction d’une nouvelle église. Bruno Valiez est le vingt-sixième et dernier abbé de Moulins. Son élection faite alors que la France occupait le pays, fut contestée par le gouvernement autrichien, néanmoins il fut réélu par sa communauté. En 1785, il vécut douloureusement la mise sous économat de son abbaye puis sa suppression en 1787 accompagnée par la dispersion de la communauté. Les chapelains et les confesseurs Tout au cours de son histoire l’abbaye de Moulins a entretenu des relations étroites avec quatre monastères de moniales cisterciennes : Marche-les-Dames, Val- Benoît, Solières et La Ramée. Déjà en 1437, l’abbé Walter de Migrode avait adressé aux trois premiers des lettres de confraternité. Les relations particulières entre Moulins et les quatre monastères de moniales se traduisent par des visites canoniques faites par les abbés, par leur présence en tant que commissaires aux élections d’abbesses et surtout par la désignation de religieux aux fonctions de directeur, de confesseur ou de chapelain. On peut estimer que c’est avec Marche-les Dames que les relations de Moulins furent les plus étroites. Deux abbés y sont décédés et y ont été inhumés. L’obituaire de Marche cite d’abord Jean Penno d’Ath, second abbé de Moulins en 1420, inhumé à Marche avec sept des siens, sans doute des membres de sa famille. (105) Le second est Jean Blariel, septième abbé de Moulins décédé à Marche en 1512. Il y avait été confesseur avant son élévation à l’abbatiat en 1498. Sa pierre tombale se trouve encore à Marche. Le survol de l’obituaire permet de répertorier quelques noms de religieux de MOULINS ayant exercé des fonctions chez les moniales. Abbaye de Marche-les-Dames : Guillaume de Stave y fut confesseur. Décédé et inhumé à Marche en 1584. Jacques Fabry, confesseur, écrivit un livre de chants à l’usage des moniales. Gérard Bourssoye fut confesseur pendant 23 ans. Inhumé à Marche en 1607. Sa pierre tombale comporte ses armoiries, un bas-relief le montrant agenouillé devant la Vierge, une épitaphe en latin qui le reconnaît remarquable par ses vertus et l’intégrité de ses mœurs. Cette pierre en bon état de conservation se trouve au musée diocésain de Namur. Robert Chantraine fut directeur à Marche vers 1749 et Laurent Stassin y fut chapelain. Abbaye de Val-Benoît (Ougrée) Mathias Dor y fut confesseur avant d’être abbé de Moulins en 1608. Nicolas Somalie, confesseur, abbé de Moulins en 1621. Jean Rampen, confesseur, abbé de Moulins en 1644. Abbaye de La Ramée (Jauchelette) Everard de Wasservas : chapelain en 1640. Gérard Streignart : confesseur en 1644. Pierre de Loyers : confesseur en 1657. Henri Sibert : chapelain en 1712. Abbaye de Solières (Huy) Gérard Streignart : confesseur en 1650. Benoît Berwir : chapelain en 1650, confesseur de 1651 à 1653 ensuite prieur à Saint Héribert. Jean Demany : chapelain de 1587 à 1590, puis confesseur de 1591 à 1597 et de 1600 à son décès en 1629. À son propos le « Bulletin de la société d’art et d’histoire du diocèse de Liège » rapporte qu’il se trouvait à Solières lors du pillage par des soldats de la garnison de Nimègue en 1624. Il était malade au lit quand les soldats pénétrèrent dans sa chambre, le menacèrent et le frappèrent avec cruauté. Après lui avoir dérobé 60 florins et des Jean Demany : chapelain de 1587 à 1590, puis confesseur de 1591 à 1597 et de 1600 à son décès en 1629. À son propos le « Bulletin de la société d’art et d’histoire du diocèse de Liège » rapporte qu’il se trouvait à Solières lors du pillage par des soldats de la garnison de Nimègue en 1624. Il était malade au lit quand les soldats pénétrèrent dans sa chambre, le menacèrent et le frappèrent avec cruauté. Après lui avoir dérobé 60 florins et des vêtements, ils le battirent de nouveau et le traînèrent auprès des religieuses. Antoine Bourguignon : confesseur de 1730 à 1740. Il mourut à Solières et y fut inhumé. Il a écrit des mémoires sur ce monastère. En 1785, lorsque l’abbaye de Moulins fut mise sous économat, elle comptait 21 religieux dont 8 étaient externes. Parmi eux : Norbert Simon était directeur à Marche, Albéric Parent à Val Notre-Dame, Louis Hambursin à Solières, Charles Delchambre à Val-Benoît, François Gaudin à La Ramée et Maximilien Hubert sous- directeur à Val-Benoît. Enfin l’obituaire fait mention de personnes ayant accordé des bienfaits à l’abbaye de Moulins, au premier rang desquelles figure le « Roi de Bohême » qui a légué une rente annuelle de six muids d’épautre à mesure rase moyennant un obit d’anniversaire. Il s’agit en l’occurrence de Jean l’Aveugle, comte de Luxembourg et Roi de Bohême qui fit ce legs aux moniales de Moulins. Un obit est attribué aussi au généreux et illustre seigneur Guillaume Comte de Namur « QUI NOBIS CONTULIT CURTEM DE MOLINIS CUM SUIS APPENDITIIS ». Il s’agit du Comte Guillaume II qui accorda aux moines le fief de Moulins. Il existe encore d’autres donateurs, par exemple : Nicolas Cuvelier, seigneur de Boneffe, légua en 1681 un capital de 10.708 florins pour acheter une rente en faveur de l’abbaye. Guillaume Libotte, maréchal-ferrant, mayeur de Moulins, légua en 1652, deux muids d’épeautre de rente dus par le seigneur d’Annevoie. Nicolas Cuvelier, seigneur de Boneffe, légua en 1681 un capital de 10.708 florins pour acheter une rente en faveur de l’abbaye. Ces legs avaient pour but d’assurer au donateur un obit d’anniversaire ce qui fut fait puisque et les noms de ces personnes et l’objet de la donation, des siècles après, figuraient toujours dans l’obituaire.
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