Synthèse de l’histoire du site dit de La Roche à Moulin

Partie 2

Partie 1 Partie 2
En 1845, s’opère l’acquisition de la cure de Senenne où sera bâti un château, dont son fils Armand héritera. Après 1830, l’industrie du fer dans nos régions va connaître des problèmes croissants. Il y a tout d’abord l’influence de la révolution belge qui, en désorganisant les circuits traditionnels de vente, provoque un ralentissement provisoire des activités. Mais une grave menace pèse sur les petites industries qui utilisent encore le charbon de bois comme combustible. L’emploi du coke dans les hauts fourneaux incarne désormais l’avenir. L’industrie se déplace donc vers les régions d’extraction de la houille, c’est-à-dire vers les bassins de Liège et de Charleroi où se fabrique l’acier nécessaire à l’établissement des lignes ferroviaires dont le réseau s’étend rapidement après 1840. A partir de cette décennie-là, s’amorce le déclin de la forgerie dans la province de Namur. Il ira s’en amplifiant jusqu’à ce qu’en 1860, l’emploi du convertisseur Bessemer apporte le coup de grâce. Le « Dictionnaire géographique de la province de Namur » par Vander Maelen, de 1832, donne un aperçu du personnel au travail  aux forges de Moulin : le haut fourneau occupe 10 ouvriers, l’affinerie 22, le martinet ou maquat 4. Vers 1840, Gustave Bauchau (1811-1867) fils de Mme A. Bauchau remplace sa mère à la direction des forges. Jacques Joseph Petit (premier bourgmestre d’Anhée après l’indépendance, et dont une rue à Anhée rappelle le souvenir), est facteur de forges à Moulins, c’est-à-dire celui qui a pour mission de tenir la comptabilité, de conclure les marchés pour le combustible et le minerai, de recruter et de payer la main-d’œuvre, enfin de s’occuper des relations avec la clientèle. Un recensement de 1851 signale que, parmi les hauts fourneaux fonctionnant au bois, ceux de Mme Vve A. Bauchau sont en non-activité à Rouillon et à Wépion. Moulin n’est même plus cité. Mais la famille Bauchau n’a pas assisté sans réagir au déclin de ses forgeries. Dès la constitution  des grandes sociétés anonymes pour la fabrication et le travail du fer, nous retrouvons les noms des fils de Mme A. Bauchau. Le 11 juin 1838 est constitué la S.A. des, laminoir, forges, fonderie et usine de la Providence à Marchienne-au-Pont. Parmi les actionnaires, on trouve des membres de la famille Bauchau. Le déclin progressif des forges de Moulins sera vécu par Gustave Bauchau. Quelques dates jalonnent cet itinéraire : 1852 : Démolition partielle du fourneau. 1859 : Arrêt de l’activité de la forge d’En Haut. 1860 : Le martinet qui, à l’époque, était accolé à la demeure du maître de forges, est transformé en bâtiment. 1868 : Arrêt définitif de la forge d’En Bas. Madame Auguste Bauchau décède en 1865. Par testament, elle lègue ses propriétés de Moulin à son fils Gustave, qui possédait déjà le 1/6 des forges. Il réside à Moulin dans la maison des maîtres de forges bâtie en 1825 et qui sera, plus tard, appelée château de la Molignée. On note à son service : un cocher, une cuisinière, une femme de chambre, un jardinier et trois journaliers.
Gustave Bauchau ne survit pas longtemps à sa mère ; il décède en 1867, sans descendance. De son testament, nous retiendrons quelques dispositions importantes : son légataire universel est son frère Armand, domicilié au château de Senenne, père de 11 enfants. A sa sœur Clémence, épouse du général de Villiers, il lègue en usufruit sa maison d’habitation à Moulin, la maison dite « La Roche à Moulin » avec ses dépendances : usines, bâtiments divers, canaux, cours, rivages, prés et en pleine propriété : les meubles de la maison d’habitation, le matériel qui se trouve dans les usines et leurs dépendances y compris le bois scié, le charbon de terre et autres approvisionnements, les fers et les fontes restant dans les usines et magasins. Ce dernier détail est important, il montre que les forges ne fonctionnent plus. Ainsi prend fin l’industrie du fer à Moulin. Etablie en 1603, elle aura duré 265 ans, connaissant des hauts et des bas, des périodes de vitalité intense, de ralentissement et d’arrêt. L’endroit où elles s’exerçaient est maintenant devenu libre pour accueillir de nouvelles activités industrielles. La période des forges étant révolue, les Bauchau dont l’esprit d’entreprise était élevé, se devaient d’implanter de nouvelles activités sur le terrain de la Roche à Moulin. En 1868, Amand Bauchau résidant au château de Senenne, sollicite auprès de la députation des conseils provinciaux, l’autorisation d’implanter un moulin à farine et une distillerie. Ce fut accordé. Les ruines du fourneau sont enlevées et sur le terrain libéré, on bâtit un grand moulin de 25 m de façade sur 11 de profondeur comprenant rez-de-chaussée, deux étages et au-dessus de vastes greniers. Le bâtiment en briques est solidement construit avec des planchers renforcés pouvant supporter de lourdes charges. Contre la partie droite du moulin est accolée la distillerie faisant 19 m sur 8. Elle portera le nom de «  distillerie St Joseph ». Contre la partie gauche du moulin, on élève un magasin d’entreposage faisant 18m sur 7 de large et qui déborde de 7m la façade avant du moulin. D’autres bâtiments annexes seront construits proches du moulin, entre autres, une bâtisse de 42 m sur 16, divisée en trois parties devant abriter un magasin, une écurie et les chariots. La force motrice est fournie par une machine à vapeur et une roue à aubes entraînée par l’eau d’une dérivation le la Molignée. A proximité de la distillerie, on bâtit une porcherie, dont les porcs mangeront les riches résidus de la distillerie que l’on appelle la peutée. En 1871, les principaux bâtiments étant construits, on peut commencer la production de farines. Xavier Bauchau, dernier fils d’Amand Bauchau qui eut 11 enfants, a repris la direction du moulin. Il met sur pied en 1886, une société en commandite simple composée de membres de la famille Bauchau. Rappelons ici que Xavier Bauchau fut bourgmestre d’Anhée durant 30 ans et qu’une rue d’Anhée porte son nom. La production se développant, une nouvelle machine à vapeur de 90 chevaux remplace l’ancienne en 1886. A la distillerie, l’évacuation des vapeurs d’alcool et des fumées se fait par un conduit accroché au flanc de la roche et débouchant dans une grande cheminée de briques construite au sommet du rocher. Jusqu’en 1898, l’éclairage est assuré par des lampes à pétrole. On installe alors l’éclairage électrique, le courant étant fourni par une dynamo. Le transport des sacs de farine se fait dans des chariots bâchés tirés par des chevaux. Ils desservent la clientèle des environs et vont charger le grain à moudre en gare d’Yvoir. Jusqu’en 1905, le broyage des grains est fait par des meules en pierre. Cette année-là, elles sont remplacées par une série de cylindres broyeurs. En 1906, un progrès technique, une turbine hydraulique se substitue à la roue à aubes actionnée par le courant d'eau.. La guerre de 1914-1918 entraîne la fermeture définitive de la distillerie tandis que le moulin tourne au ralenti. La guerre terminée, les affaires vont reprendre, En 1919, la direction passe un contrat avec la société régionale d’électricité pour raccorder le moulin au réseau .Le courant électrique rend la machine à vapeur inutile, elle  est démontée et un moteur électrique est installé. La société du moulin Bauchau, en 1922, ouvre une succursale dans les vastes magasins d’Auguste Bourdon à Dinant-Rivage. On y distribuera les produits de la mouture. Les cylindres de broyage des grains sont renouvelés en 1937. Arrivons-en à ce jour du 21 mai 1941. Un grave incendie se déclare la nuit dans la partie du moulin contenant les cylindres. Les planchers des étages s’effondrent. Cette partie du moulin n’est bientôt plus que ruines. Seule la partie abritant les meules en pierre reste intacte, ce qui permettra de continuer à moudre les aliments pour le bétail, mais cela ne constitue qu’une activité insuffisante. Dès lors, le conseil d’administration décide, en 1949, de dissoudre la société du moulin à farine. Armand Bauchau continue la production d’aliments pour le bétail jusqu’en 1962, ensuite les magasins seront loués à un négociant en grains. En 1981, l’administration communale d’Anhée rachète l’emplacement du moulin avec ce qui reste des bâtiments. La partie en ruine est arasée. Dans les bâtiments subsistants s’installe le CAFT (centre d’apprentissage et de formation au travail) formant les jeunes peu qualifiés ou sans emploi. On leur dispense une formation en menuiserie, entretien du linge, entretien de jardins. Les annexes au moulin serviront de locaux d’entreposage aux engins de la commune. Armand Bauchau, le dernier gestionnaire du moulin, et son épouse étant décédés, leur maison, une élégante gentilhommière, est à vendre. L’administration communale d’Anhée envisage de la racheter pour en faire la maison communale. Ce projet, rejeté par l’opposition, ne se concrétisera pas. C’est une association d’entrepreneurs qui rachètera la propriété avec son grand parc, en vue  d’y installer un complexe hôtelier. Dès 1994, les travaux de transformation débutent, le bâtiment de l’ancienne forge, à l’aspect particulier, est aménagé en restaurant. Avec le temps, le complexe se développe. Le terrain de l’ancien moulin est racheté à la commune d’Anhée. Cet ensemble constitue aujourd’hui un complexe hôtelier de premier ordre qui s’appelle «  Les Jardins de la Molignée ». Il reste à évoquer le souvenir de deux immeubles qui étaient situés aussi à La Roche à Moulin : le château Bauchau appelé, dans les années 1900, le Château de la Molignée et la Maison de la Roche. Il faut remarquer d’abord qu’avant la construction du nouveau pont d’Yvoir en 1973, la route allant de Dinant  à Namur était directe, s’incurvant pour contourner la roche et monter vers l’ancien pont à 300 mètres de là, vers l’aval. Entre cette route et le rivage de Meuse, la famille Bauchau avait construit un château en 1825. C’était une résidence de prestige, en face des forges de Moulin. Avec le temps, un parc avait été créé englobant une partie de l’île d’Anhée et le bras de Meuse de la rive gauche désaffecté et comblé. Le château resta la propriété de la famille Bauchau jusqu’en 1904, quand eut lieu la vente générale des propriétés de Moulin faite pour sortir d’indivision. L’acquéreur du château fut François de Lhoneux qui l’occupera jusqu’à ce que son nouveau château de Houx-Champalle fut construit. En 1910, il  revendit son château de Moulin à Georges Henry, banquier à Dinant qui l’occupait toujours quand éclata la guerre en 1940. Le château de la Molignée fut incendié par les SS allemands lors de la tragédie du 4 septembre 1944. Réduit à l’état de ruines, il fut racheté avec son magnifique parc par la commune d’Anhée qui transforma ce dernier en camping. Sur l’emplacement même du château, vint prendre place une pile du nouveau pont d’Yvoir. La route Namur-Dinant fut détournée et l’accès à la route de Maredsous fut modifiée empruntant une forme très contournée. Parlons pour finir de la maison de la Roche. Elle se trouvait à gauche de la route Dinant-Namur à l’angle de la route vers Maredsous. Elle appartenait à l’abbaye de Moulin. C’était une auberge donnée en location à un exploitant. Les archives de l’abbaye nous donnent quelques dates. En 1754, elle était louée à Simon Lechef. Le 14 juillet 1777, une passée de dîmes s’y est tenue , au profit des chapitres des collégiales de Huy et Namur, décimateurs. Un mot d’explication est sans doute nécessaire. La dîme était un impôt consistant dans le prélèvement du 1/10 d’une récolte, souvent au profit d’institutions religieuses, appelées les décimateurs. Au début, la dîme était payée en nature sous forme de grains puis, au 18ème siècle, transformées en argent par la vente dans des passées de dîmes. C’était le cas à la maison de la Roche. Venons-en à l’année 1794 quand l’armée de la République Française impose une contribution sur les monastères, le clergé et les nobles. L’administrateur de l’abbaye de Moulin fut forcé d’aliéner plusieurs propriétés dont la maison de la Roche. Il la décrit en ces termes : «  La maison nommée la Roche de 4,5 boniers. Cette maison est située à côté de la nouvelle route de Luxembourg, à l’angle du chemin qui conduit à l’abbaye, située on ne peut plus avantageusement pour toute espèce de commerce ». A la mise en vente, le bien est acquis par Noël Didion  pour 2.200 florins. Didion a revendu le bien à la famille Bauchau qui continuera à donner l’auberge en location. A Moulin, se trouvait le passage d’eau, le locataire de l’auberge était en même temps passeur. Il en fut ainsi jusqu’à la construction du premier pont d’Yvoir en 1873. En 1904, l’auberge de la Roche figure dans la vente des biens de la famille Bauchau. L’auberge fut plusieurs fois transformée pour devenir un hôtel-restaurant et connaître une certaine notoriété dans les années 1920 et 1930. Elle s’appelait alors l’Hôtel de la Roche. La construction du nouveau pont d’Yvoir coupa la route et enferma l’hôtel dans une sorte d’impasse. Il fut alors transformé en immeuble à appartements multiples toujours existant. Ainsi se termine l’histoire riche et variée de la bande de terrain appelée sous l’Ancien Régime «  La Roche à Moulin ». Sur ce petit territoire, pendant des siècles, s'est déployée une activité humaine considérable dans un environnement naturel d'une grande beauté :rochers, bois, rivière, car ne sommes-nous pas ici à la porte d'entrée de la vallée de la Molignée ? Pour écrire cette synthèse, Jean Closset s’est basé sur ses propres recherches et celles de son épouse Dorette Sovet, publiées en deux ouvrages. Le premier, dont la partie consacrée au moulin à farine est d’Alphonse Jacques, porte le titre «  Des forges et de la papeterie de Moulin aux entreprises de la famille Bauchau », 1993. Le second s’intitule «  Histoire de l’abbaye cistercienne de Moulin-Warnant », 1996. Ces deux ouvrages sont le fruit de recherches effectuées dans les Archives de l’Etat à Namur.
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