La tragédie du 4 septembre 1944 à Anhée. La courageuse intervention de Madame Dorette Sovet
La guerre de 1940 à 1945 a été sur le plan humain, une période cruelle pour le village d’Anhée. Déjà en mai 1940, cinq militaires étaient tombés durant la campagne, une cinquantaine d’autres avaient été emmenés en captivité en Allemagne dont trois ne revinrent jamais. Sur les routes de l’exode, deux femmes avaient été tuées dans des bombardements aériens. Pendant les quatre années de l’occupation, la population n’avait connu qu’angoisse et privations. Mais le plus dur était encore à venir, ce serait pour la fin de l’occupation, en septembre 1944. Après le débarquement des Alliés en Normandie, le 6 juin 1944, leur aviation s’attaqua aux lignes de communications allemandes . Or Anhée se trouve entre deux points vitaux pour les transports : le pont de Houx et la gare de formation de Warnant. L’aviation alliée les prend donc pour cibles non sans dommages collatéraux. Le bombardement du pont de Houx le 18 août manque sa cible mais des bombes tombent sur Anhée faisant 4 morts et 5 blessés. Pour le village d’Anhée, la tragédie se déroula le 4 septembre 1944 et fut l’œuvre de la  12 panzerdivision SS Hitlerjugend dont les effectifs étaient issus de la jeunesse hitlérienne très fanatisée. Lors du débarquement allié le 6 juin 1944, cette division fut engagée l’une des premières vers les plages de débarquement. Les annales  rapportent que cette 12 panzerdivision SS se distingua par sa barbarie. Au cours du mois de juin, on y fusilla, au mépris de la Convention de Genève des prisonniers de guerre et des dizaines de civils français. Pendant les combats, la 12 panzerdivision SS se trouva acculée dans la poche de Falaise où elle fut décimée par les bombardements aériens. En fin de la campagne de Normandie, elle avait perdu 31 % de ses effectifs soit 8000 hommes. En août commença la retraite allemande à travers la France et la Belgique au cours de laquelle la division SS subit les embuscades de la résistance. C’est ainsi que vers le 3 septembre cette division franchit la Meuse au pont d’Yvoir et vint prendre position sur la rive droite entre Godinne et Houx. Ce sont donc  des militaires SS très aguerris mais pleins de rancœur haineuse, qui se trouvent en face d’Anhée dans lequel ils vont accomplir de terribles atrocités. Cela se passera le 4 septembre, jour que l’on pourra appeler le jour de deuil du village d’Anhée. Durant la matinée déjà, des détachements SS, passant la Meuse s’introduisent dans le centre du village à la recherche de ravitaillement . Ils réquisitionnent des pains à la boulangerie Olivier, place communale. Un autre groupe est allé, rue grande, jusqu’à la bijouterie Jadot  et l’a dévalisée. Le bourgmestre Emile Pluymers, qui habite en face, intervient mais en vain puisque le feu est mis à la bijouterie et se communique à la maison voisine. Vers 12h30, les Allemands passent à nouveau la Meuse et abordent à hauteur de la rue Ste Barbe . Ils descendent alors la rue du village s’arrêtant devant chaque maison, font  sortir les habitants des caves avant de mettre le feu à l’immeuble. Arrivés devant la maison occupée par la famille Roland, ils abattent , devant ses parents, leur fils Honoré, 20 ans, puis mettent le feu. De la maison d’en face, ils font sortir les deux frères Bertrand, Joseph et Victor, les abattent et incendient la maison. Devant tant d’horreur, Auguste Pintelon, évacué d’Ostende, qui parle l’allemand, sort pour parlementer et calmer la soldatesque, il est abattu à son tour. Les Allemands descendent alors la rue du village en incendiant des maisons et abattent encore Adelin Léonard Arrivés devant la maison Ligot où une quarantaine de personnes se sont réfugiées dans les caves -abris, ils ordonnent aux hommes de sortir et abattent successivement : Jean Ligot, Jules Fripiat, Antoine Stevenne, et en blessent gravement deux autres. Les maisons le long du parcours continuent à être incendiées. Dans la rue du Bon Dieu, Edouard Puissant sort de chez lui avec ses enfants pour les mettre à l’abri. Un jeune SS lui ordonne de les lâcher, le fait marcher devant  lui puis l’abat. Pendant ce temps, des gens affolés descendent la rue du village en hurlant « sauvez-vous , les Allemands tuent tout le monde et mettent le feu partout ». Plusieurs personnes sortent de leur abri ou cave, s’enfuient dans un affolement général, sous les coups de feu tirés dans leur direction. En entendant ces hurlements, Mme Dorette Closset Sovet sort du poste de secours de la Croix-Rouge où elle habite . Elle est en uniforme d’ambulancière : blouse blanche marquée d’une croix rouge. Sur sa gauche , elle aperçoit des gens qui fuient en courant et en descendant la rue, alors que des balles fusent vers eux. Courageusement, l’ambulancière se dirige vers les Allemands, à contre-courant des gens qui fuient. Elle rejoint le groupe des SS et s’avance vers un sous-officier qui, revolver au poing et dans un grand état de surexcitation, se tient au milieu de la rue. Elle agrippe la manche de son uniforme et lui dit en allemand : « Que faites -vous ici ? Ne tirez pas, ce sont des civils ». Le sang-froid de la jeune femme, son uniforme de Croix- Rouge et son attitude ferme semblent impressionner le sous-officier allemand.  Elle accompagne le groupe qui continue à descendre la rue, passe devant sa maison, poste de la Croix-Rouge, dans la cave duquel se cachent une  vingtaine de personnes et va jusqu’au-delà des anciennes maisons dites du Forbot. Sur tout ce parcours; aucun civil n’a été tué, mais la jeune femme ne peut empêcher la mise à feu de quelques immeubles. Grâce à son intervention, des personnes qui fuyaient devant les SS, purent s’échapper par une rue latérale, la rue Matante, et avoir ainsi la vie sauve. Elles en ont porté témoignage après les événements. Le fermier de la ferme Bouchat vint dire à Mme Dorette Sovet, d’une façon imagée. « Sans vous, Madame, nous mangerions maintenant les pissenlits par la racine » ce qui signifie qu’ils auraient été tués. Le groupe de SS dépasse ensuite la rue Ribot et arrive dans la partie du village appelée aujourd’hui rue de la Libération. Là-bas, les habitants ont eu le temps de s’enfuir par l’arrière des maisons et des jardins pour rejoindre la grand-rue et se disperser. Ils auront la vie sauve. Les SS continuent néanmoins à incendier les maisons en brisant les vitres, en boutant le feu aux rideaux et en jetant des pastilles incendiaires, si bien que l’ensemble de la rue du village ne forme bientôt plus qu’une suite de brasiers. Vers le bas de la rue, on déplore encore deux hommes abattus. Il s’agit de François Joseph Colin et de son fils Firmin. Ils ont quitté leur maison avant l’arrivée des SS, quand le fils se rappelle qu’il a oublié de prendre son accordéon auquel, il tient beaucoup. Il revient sur ses pas pour le reprendre et son père l’accompagne. Le hasard malheureux veut qu’ils rencontrent les SS . Ils sont aussitôt abattus. A ce moment , meurtres et incendies ont porté la tragédie à son paroxysme. Le même jour, Omer Collignon est tué par balle dans les environs du pont d’Yvoir. Vers 17 heures, arrivent enfin trois militaires en uniforme américain. Ce sont des éclaireurs en reconnaissance vers le pont de Houx. Passant devant la maison d’Isidore Scailteur, ils remarquent la présence de deux Allemands qu’ils abattent sur le champ et d’un autre, qui parvient à s’enfuir. Il sera retrouvé trois jours après , capturé et remis à l’armée américaine. Durant la nuit suivante, les deux cadavres allemands seront enlevés par des hommes de leur unité qui ont repassé la Meuse en barque. Demandant des explications à Isidore Scailteur, qu’une volumineuse hernie abdominale a empêché de fuir , l’un d’eux lui plonge une baïonnette dans le ventre. Isidore mourra trois jours après dans d’atroces souffrances.  Ainsi s’est achevée la terrible journée du 4 septembre 1944. Le bilan est lourd : douze hommes abattus par balles, un autre qui mourra le 7 septembre, quatre grands blessés, cinquante-huit immeubles détruits et quinze autres endommagés. Indépendamment des victimes précitées, quatre jeunes gens d’Anhée, membres de l’Armée Secrète, sont tombés au combat le 3 septembre sur le territoire de Bioul. Ce sont : Ferdinand Gillain, Jacques Fossaert, Nestor et Franz Capelle. C’est dans un village terrorisé, dont toute une rue a été mise à feu et à sang, que l’armée américaine fera son entrée. En écho à ce récit , il est intéressant de citer un article paru le 17 décembre 1946 et intitulé : « A Anhée avec les barbares en déroute ». Il est écrit par le frère Materne Pécriaux , franciscain à Walcourt. Depuis le 3 septembre 1944 , la 9e Armée américaine avance dans l’Entre-Sambre -et-Meuse. Le frère Pécriaux se met à son service. IL connaît bien la région et reçoit la mission de piloter jusqu’à la Meuse, deux éclaireurs de l’armée alliée. Ce sont des Français, le capitaine d’EM Robert Pinon et son chauffeur FFI de la région de Trélon. Voici de larges extraits du texte. C’est au commencement de l’après-midi du 4 septembre, que nous sommes arrivés jusqu’à l’entrée d’Anhée, venant de Warnant. Nous avons l’ordre d’observer les positions adverses de l’autre rive ainsi que les destructions des ponts du voisinage. Après avoir laissé notre jeep à l’abri d’une ancienne brasserie détruite (1) , accompagnés d’un radio nous montons dans les combles d’un château où couve l’incendie qui doit le détruire dans quelques heures (2). Nous avons de là un observatoire magnifique, pièces et ouvrages ennemis s’étalent sous nos yeux. Les précieux renseignements sont transmis immédiatement au GQG. Nous sommes rejoints par un major et deux soldats qui viennent se rendre compte des lieux ; ils repartent aussitôt avec le radio et nous restons seuls. Notre travail nous prend trois quarts d’heure. De notre grenier, nous observons les incendies vers l’extrémité sud du village et des coups de feu se font entendre. (3). Dans cette direction se trouve le pont de Houx qui nous est masqué par les arbres d’un bosquet voisin. Le capitaine Pinon décide d’aller le reconnaître et nous nous engageons dans la grand- rue. Il semble d’abord que toute vie se soit retirée : deux magasins en flammes (4) nous disent qu’ils sont passés par là ; ailleurs , c’est le silence. Quelques mètres plus loin, un homme nous rejoints, pleurant d’émotion et se nomme. C’est le bourgmestre d’Anhée (NB : Emile Pluymers dont le comportement pendant ces événements fut digne d’éloges ). Il nous dit sa joie de voir des Alliés et s’empresse de nous donner des indications. Je sens son ardent désir de servir la bonne cause. Bien des Belges feront comme lui et ce ne sera pas le moindre sujet d’admiration et de reconnaissance du Commandement Suprême envers la Belgique. Nous continuons notre route. Au-delà de l’église, sortant du presbytère, voici le curé de la paroisse, « mon » ancien vicaire. ( NB: Le curé Decoux ). Dans son zèle sacerdotal, il veut se rendre compte de la situation de ses ouailles. Je réussis à le persuader qu’il est prudent d’attendre, le village n’est pas nettoyé et nous avons tout lieu de croire qu’il reste du « Boche » Une rue s’ouvre à notre gauche dans la direction où gronde l’incendie (5). Nous rencontrons de pauvres gens conduisant des brouettes chargées de linge, d’autres évacuent tout ce qu’ils peuvent hors des maisons; dans tous les yeux, on lit l’épouvante, presque de la folie. Des hommes s’enfuient en nous voyant, nous prenant pour des ennemis. Nous devons les rassurer, mais il est presque impossible d’en tirer quoi que ce soit. Encore quelques mètres et nous nous trouvons dans une autre rue complètement en feu (6). Nous avançons entre deux murailles de flammes et sous une pluie de bois embrasés, la chaleur y est torride. Prenant à droite, nous nous trouvons devant trois cadavres de civils (7) et nous commençons à comprendre toute l’horreur du drame. Plus loin encore des hommes abattus d’une balle dans la nuque suivant la méthode nazie. Soudain arrivés devant la maison Scailteur qui reste intacte, nous avons devant nous un groupe de SS: ce sont les assassins. Sans leur donner le temps de se ressaisir, nous ouvrons le feu et la chasse commence dans les maisons et les jardins. Le capitaine a son pistolet, le chauffeur une carabine  et moi-même une mitraillette sten. Deux des brutes sont abattues chez Scailteur, trois autres dans des maisons en flammes: de celles-ci , on ne retrouvera rien; un autre blessé parvient à s’enfuir. On le retrouvera quasi mort dans un tonneau, trois jours après. Justice est faite mais pas aussi complètement que nous l’aurions voulu. Nous repartons, gardant au cœur un immense regret : si nous étions arrivés plus tôt, de paisibles citoyens seraient encore en vie et soixante-sept maisons ne seraient pas  détruites. Et l’article se termine ainsi: Le soir de cette journée tragique devait apporter le complément à tant d’horreurs, par l’incendie de nombreux villages de la rive gauche. La destruction de toute beauté, l’assassinat d’innocents ,tel est le sceau de feu, de fer et de sang dont fut marquée notre riante vallée mosane par les barbares en déroute. Article signé : Frère Materne-Marie Pécriaux. ASC Walcourt. Notes. (1). Le narrateur parle d’une brasserie. En fait , il s’agit du moulin Bauchau incendié            accidentellement en 1941. (2).Le château  en bord de Meuse à Moulins appartenait à Mr Henry de Frahan. Les       bâtiments seront totalement détruits par l’incendie . (3). Le haut du village a été mis à feu vers 13 heures. (4). Il s’agit de la bijouterie Jadot incendiée par les SS le matin même. (5). Il s’agit très vraisemblablement de la rue Matante. (6). C’est la rue du village dans son parcours actuel de la rue Petit.  (7). Les trois civils tués en même temps, l’ont été à la maison Ligot. Ce récit a été élaboré par Jean Closset au moyen des renseignements fournis par son épouse madame Dorette Sovet lorsqu’il revint de captivité et en s’appuyant sur le rapport officiel établi, à la demande de l’Administration communale d’Anhée, par le comandant Fossaert, immédiatement après les faits.  Postface. La 9ème Armée américaine est entrée à Anhée le 5 septembre 1944. Ses tentatives d’établir des têtes de pont à Godinne et à Yvoir échouent, mais réussissent à Houx. La 12 panzerdivision SS contre-attaque le lendemain. Entretemps, l’armée américaine a réussi un passage de la Meuse dans la région de Namur et ses avant- gardes s’avancent en direction de Ciney , menaçant à revers les positions SS sur la Meuse , ce qui précipite la retraite. Le général SS Kurt Meyer qui commande la 12e panzerdivision SS  est fait prisonnier  par des résistants à Spontin. Alors qu’il s’est isolé pour satisfaire des besoins naturels, il est bâillonné, ligoté et remis par après à l’armée américaine qui le jugera et le condamnera à mort pour crimes de guerre. Sa peine sera commuée en détention. A Anhée, il y eut un gros problème pour reloger les familles dont les maisons avaient été incendiées. L’administration communale put trouver des baraquements en bois qui furent installés le long de la rue du village et sur la place communale. Les sinistrés y vécurent pendant plusieurs années dans l’inconfort et le froid. La reconstruction des immeubles détruits se fit au cours des années 1949 et suivantes. Madame Dorette Closset Sovet dont l’action audacieuse auprès des SS avait sauvé des vies humaines, se vit attribuer la Croix de Chevalier de Léopold II avec rayure d’or pour acte de courage au péril de sa vie, Vers 1950, la rue du village fut divisée en trois tronçons et rebaptisée. Ce sont : la rue des Fusillés, la rue JJ Petit en souvenir du 1er bourgmestre d’Anhée après l’indépendance de 1830,  la rue de la Libération. Enfin le 2 septembre 1990, les autorités communales inaugurèrent une stèle à l’endroit  où les massacres du 4 septembre 1944 avaient commencé. Cette stèle porte une plaque avec ces simples mots: «A la mémoire des victimes du nazisme, sauvagement abattues à Anhée le 4 septembre 1944».
Ruine rue de la Libération Ruines du Forbot Document-souvenir des victimes de la guerre à Anhée Ruines rue Petit Ruines rue de la Libération Baraquements Wiart Monument aux victimes Haut de la page
Dorette Sovet en uniforme de volontaire de la Croix-rouge